sábado, 24 de septiembre de 2011

MON TROISIÈME OEIL





« Ils voient sans voir » (Mt 13, 13)

Curieux comme une belette et myope comme une taupe, c’est ce que j’étais sans le savoir. Bien des fois, dans mes randonnées de vieil amoureux du monde, je suis passé à côté de centaines de visages, de paysages et d’ouvrages sans vraiment les voir parce que je n’avais que deux yeux et une caméra plutôt moche, je ménageais mes bouts de films et je marchais le plus souvent la tête dans les nuages.

Aujourd’hui, une caméra numérique me sert de troisième œil. Elle me fait découvrir comme un petit soleil ce qui hier n’était qu’un pissenlit. Et la grande mare à grenouilles derrière la maison se transforme magiquement en un jardin qui ferait les délices d’Alice au pays des merveilles.

Aveugle, superficiel, prisonnier des apparences, voilà ce que la caméra m’apprend sur moi-même. Comment puis-je encore prétendre voir clair en moi et dans les autres, ou comprendre quelque chose aux grandes affaires du monde et du bon Dieu, alors que plus d’une fois j’ai marché sur l’escargot sans savoir que mes pieds écrabouillaient une créature d’une singulière beauté?

Mais tout espoir n’est pas perdu. Cette nouvelle manie de vouloir tout photographier garde en vie dans le vieux sédentaire que je suis devenu cette sorte de sixième sens qui, autrefois, au temps où je roulais ma bosse dans les pays lointains, faisait tout mon bonheur.

Je veux parler de cet instinct qui me faisait découvrir dans les petites gens à l’aspect extrêmement humble une grandeur et une beauté que je voyais rarement ailleurs.

Ce même instinct me pousse aujourd’hui à sortir de ma tanière de solitaire en créant en moi l’illusion de faire le tour du monde quand, en réalité, je ne fais que traînasser aux mêmes endroits à l’affût de quelque nouveauté. Et elle m’apprend qu’il n’y a pas grand-chose sur terre qui ne bouge pas.
Les photos du même buisson changent selon la saison, la température et la lumière, ou selon l’heure et mes sentiments du moment.

Je constate cela et songe que le même phénomène devrait sûrement se répéter dans les différentes façons d’appréhender Dieu, l’être humain et le bonheur de l’humanité.

Dieu, il est sans doute immuable, mais tout le reste n’est-il pas que variété et changement?... Je ne me surprends donc pas outre mesure lorsque je vois comment, de nos jours, la façon d’être disciple de Jésus, de faire Église ou de faire la mission fait face à de gros chambardements.

La caméra améliore considérablement mes rapports avec mère Nature. On dirait que cette dernière cherche à m’apprivoiser à travers les photos que je prends d’elle. Par ses multiples visages elle ne cesse de m’étonner.

Sur mes sentiers elle place des écureuils ou des petits renards qui prennent les poses les plus amusantes pour attirer mon attention. Tout d’un coup, un castor d’habitude toujours affairé se met à tourner en rond dans l’eau comme pour me donner le temps de le photographier à mon goût. Un héron hiératique, un cormoran égaré, un bec-scie à la huppe de punk, un canard branchu (ce chef-d’œuvre de design), une outarde effrontée, un nuage gonflé de laine, des arbres qui dansent, des roches sorties de la nuit des temps, des fleurs qui rient sans bruit, et la mer qui roupille dans une goutte d’eau…

Depuis que ma caméra et moi nous sommes devenus d’inséparables copains, tout ce beau monde vient s’ajouter à la famille intime de mon cœur qui s’est formée au cours des ans avec les anges du ciel, les pauvres du monde et mes amis du genre humain.

Seule tristesse, c’est qu’au Canada on ne peut pas photographier le monde. On dirait qu’il faille s’exiler dans d’autres pays, là où les bonnes gens éprouvent encore de la joie à faire plaisir aux inconnus, pour photographier des minois d’enfants et ne pas passer pour un pervers. Pourtant le visage de tout humain est une photo de Dieu.

Autre fait à noter, c’est que même si mon troisième œil numérique m’est fort utile pour photographier les autres, il sert rarement à me photographier moi-même… Preuve de plus, s’il en faut, que même les amoureux de la beauté du monde n’existent bien que dans le regard de l’autre.

En ce sens, la photographie et la mission se rejoignent, car étant par essence un joyeux aller vers l’autre, la mission me donne non seulement une puissante raison de vivre mais contribue aussi pour une large part à renforcer mon identité et à m’enraciner dans l’existence.

Eloy Roy, 19 octobre 2009

1 comentario:

  1. Cher Eloy quelle belle écriture toujours très intéressant de vous lire. Longue vie paix, santé, bonheur .
    En tout amitié
    Suzanne Boudreau

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