Réaction à une émission télévisée sur les pensionnats catholiques et anglicans pour les autochtones du Québec et du Canada, dans lesquels les programmes aberrants imposés par le Gouvernement fédéral furent servilement exécutés par nos religieux et religieuses, souvent avec bonne volonté, mais rarement avec discernement, et quelque fois, hélas, avec un sadisme impardonnable, même dans le contexte d’ il y a 50 ans.
Frères et sœurs des Premières Nations,
Sans votre permission, je me suis invité sur cette terre qui est la vôtre. Mes racines en ce pays ont peut-être de deux à quatre cents ans, mais les vôtres sont vieilles de 30 000 ans, ou même davantage. Que seriez-vous aujourd’hui si ni les Français, ni les Anglais, ni aucune autre nation étrangère n’étaient venus bouleverser votre vie ? Vous seriez un grand peuple, et on vous compterait par millions.
L’histoire a été cruelle envers vous. Beaucoup des vôtres moururent pour nous, ou à cause de nous. Si nous avons pu survivre aux longs hivers et à toutes les misères de ce pays, ce fut grâce à vous. En toute vérité, nous vous devons la vie.
Pour vous remercier de ce que vous avez été pour nous, peu à peu nous nous sommes emparés de tout ce qui vous appartenait. Nous vous avons refoulés, puis chassés toujours plus loin; nous vous avons enfermés dans des parcs inhumains appelés « réserves », et nous vous avons oubliés.
Et quand nous nous sommes souvenus de vous, ce fut seulement pour vous dépouiller de votre âme, de votre culture, de votre langue, de votre mode de vie, croyant que le mieux qui pouvait vous arriver, c’était que vous deveniez semblables à nous.
Dans notre grande « générosité » nous vous avons partagé notre « progrès », en vous enseignant à lire, à écrire et à compter, mais, ce faisant, nous vous avons mêlés à nos chicanes d’Anglais et de Français; dans vos cœurs nous avons mis la soif du gain, et dans vos mains l’eau-de-vie, le fusil, la divine motoneige et le B.S.
Au nom de la « civilisation », nous vous avons forcés à n’être que l’ombre de vous-mêmes; au nom de Dieu nous avons violé votre esprit, et parfois même vos corps. Nous vous avons baptisés pour mieux vous imposer nos lois, nos coutumes, notre manière de penser et de vivre. Et nous croyions que c’était là la plus grande preuve que nous vous aimions.
Non, vous n’avez pas besoin, aujourd’hui, qu’on vous prêche Jésus-Christ, sauf peut-être pour proclamer qu’en toute vérité, dans votre chair et votre long calvaire, vous avez été vous-mêmes (et vous êtes encore) ce Christ qui a été crucifié pour qu’une multitude ait la vie en abondance, et que cette multitude, c’est nous.
S’il doit y avoir un Christ québécois ou canadien, il ne peut avoir d’autre visage que le vôtre.
J’ai versé des larmes en visionnant le reportage télévisé sur votre vie d’enfants au pensionnat d’Amos. J’ai senti la honte me brûler le cœur pour le mal incalculable que nous vous avons fait en ce lieu (comme dans bien d’autres d’ailleurs); ce mal dépasse de beaucoup tous les bienfaits dont nous prétendons vous avoir comblés.
Mais la douleur que je ressens au plus profond de mon être n'est sans doute rien d’autre que la voix de votre propre sang qui coule dans mes veines, comme dans celles de la plupart des gens de mon peuple.
Car vous et nous, nous sommes beaucoup plus parents que nous voulons bien l’admettre. Le jour où nous aurons la simplicité de le reconnaître, nous commencerons peut-être à nous regarder comme des frères. Des frères différents sans doute, mais très semblables à bien des égards, appelés à marcher ensemble vers un même destin.
Pour notre part, nous y parviendrons dans la mesure où nous cesserons de vous ignorer, de vous mépriser et de convoiter vos biens. Et aussi dans la mesure où nous trouverons notre bonheur à vous voir surgir de l’ombre et à vous épanouir selon les grandes richesses de votre culture et de vos irremplaçables talents.
Eloy Roy
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