jueves, 20 de septiembre de 2012

« La servitude de l’Église catholique du Canada français sous le régime anglais »


« La servitude de l’Église catholique 
du Canada français sous le régime anglais » 



Marcel Trudel
 professeur titulaire d'histoire du Canada à l'Institut d'Histoire
de l'Université Laval


Publié par Érudit : erudit@umontreal.caArticle


Le 10 août 1764, commence pour l'Eglise du Canada un régime de
servitude sous un gouvernement protestant. Certes, elle avait déjà
connu la servitude d'un Etat catholique : avant 1760, le roi de France
choisit et nomme l'évêque de Québec, il nomme le doyen et le grand
chantre du Chapitre; du tribunal ecclésiastique on peut en appeler au
Conseil Supérieur; pour conserver un certain équilibre dans la société,
le roi veille à ce que les communautés religieuses n'occupent pas plus
de place qu'il ne faut, il limite avec rigueur le nombre des sujets qu'elles
peuvent admettre, il s'oppose à ce que les Filles de la Congrégation
s'engagent par des voeux, il interdit aux Frères Hospitaliers les voeux et
le costume religieux; la paroisse, cellule de vie religieuse, n'appartient
plus seulement à l'Eglise; la dîme, revenu personnel du curé, n'est pas
fixée par l'Eglise seule; enfin, l'Etat sert de bras séculier. L'Eglise est
dans et sous l'Etat. Toutefois, ce régime de servitude est une force et
une garantie, car cette Eglise dépend d'un roi catholique dont le premier
devoir est justement de soutenir et de répandre le catholicisme par le
monde. Or cette force va se transformer en une impuissance dramatique
et cette garantie va disparaître, lorsque les droits de la Couronne de
France sont cédés à la Couronne d'Angleterre.
De plus, à cause de ses effectifs, l'Eglise s'engage en 1764 dans la
plus inquiétante des situations. C'est une Eglise sans évêque, le Chapitre
ne compte plus au Canada que cinq membres, et ces chanoines,
communauté de contemplatifs, vivent désormais dans la dispersion;
deux grands ordres, les Jésuites et les Récollets, n'ont plus le droit de
se recruter; le sort de la communauté sulpicienne, formée de Français
de France, demeure pour longtemps en suspens; une communauté de
femmes, celle de l'Hôpital Général de Québec, est au bord de la faillite;
une autre, celle de l'Hôtel-Dieu de Montréal, songe à rentrer en France.
Par décès ou par désertion, le clergé a perdu en cinq ans le quart de
ses effectifs; il ne compte plus à la fin de 1764 que 137 prêtres : or il
n'y a point encore d'évêque pour perpétuer le sacerdoce et l'on ne peut
plus compter sur le clergé de France. Vers le même temps, l'Eglise
acadienne s'est éteinte. C'est dans ce contexte alarmant que l'Eglise
catholique tombe non seulement sous la coupe d'un roi protestant (qui à
son couronnement jure de détruire le papisme), mais aussi (ce qu'on
n'avait pas vu sous le régime français) sous la coupe personnelle des
gouverneurs.
Assurément, cette Eglise catholique va recevoir l'appui de l'Etat
protestant. Lorsqu'elle a besoin d'une force séculière pour mettre en
vigueur ses volontés, l'Etat protestant la lui fournit. Les paroissiens
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de la Rivière-Ouelle, par exemple, s'adressent au gouverneur Haldimand
pour faire expulser leur curé, mais Haldimand envoie la requête à
Mgr Briand avec le commentaire suivant : « Je suis trop bien informé
de la bonne conduite que le Clergé du Canada a tenue, envers le
Gouvernement, lors de l'invasion des Rebelles, pour ne pas réprimer la
moindre insolence qui pourrait leurs être affectés de la part des habitants;
et j'ai trop de confiance dans votre zèle et pour le service du
Roi, et dans votre justice envers son peuple, pour permettre à qui que
ce soit d'empiéter sur vos droits et désobéir à vos ordres. » Un
instituteur protestant, du nom de Mastha, vient s'installer chez les
Abénaquis de Saint-François-du-Lac pour y faire du prosélytisme :
Mgr Signay en appelle au gouverneur Gosford en 1835 pour mettre fin
à l'oeuvre de Mastha; le gouverneur ne peut expulser le predicant, mais
il fait quand même savoir à l'évêque qu'on entreprend des procédures
civiles pour empêcher Mastha de construire une chapelle protestante2.
Autre appui du bras séculier protestant dans l'affaire de la cathédrale
de Québec : détruite par les bombes de 1759, cette cathédrale n'avait
été rouverte au culte qu'en 1771, mais, poussés par leur curé, les
marguilliers s'opposaient à ce que l'église paroissiale servît en même
temps de cathédrale et Msr Briand avait dû se contenter de la chapelle
du Séminaire; il fallut l'intervention du lieutenant-gouverneur Cramahé
pour mettre fin à ces disputes ridicules et Mgr Briand pouvait écrire en
1774 : « J'entre par la médiation de M. Cramahé, dans ma cathédrale,
reconnue pour telle 3. »
Cette Eglise reçoit encore l'appui du gouvernement protestant sous
la forme d'un salaire versé aux missionnaires catholiques qui sont chez
les sauvages4; et, surtout, l'appui financier le plus constant et le plus
lourd apporté par le gouvernement, a été la location du palais episcopal
et la pension annuelle de l'évêque. Construit sous le régime français
mais jamais complété, le palais episcopal avait servi en partie à l'administration
française; une fois réparés les dommages de la guerre, le
Gouvernement anglais l'occupe à partir du mois d'août 1777 et verse à

1 Le gouverneur Haldimand à Mgr Briand. 13 iuin 1780 (AAQ, Gouvernement,
1: 28), RAPQ, 1929-30 : 121s.
2 Mgr Signay au gouverneur Gosford, 10 oct. 1835 (AAQ, Registre des
lettres, XVII : 142), RAPQ, 1937-38 : 52; le secrétaire Walcott à Mgr Signay,
20 nov. 1835 (AAQ, Gouvernement, II: 72), RAPQ cité: 65s.; Mgr Signay au
curé Pierre Béland, 14 mars 1837 (AAQ, Registre cité, XVIII: 42), RAPQ,
1938-39: 191; le secrétaire Walcott à l'abbé C.-F. Cazeau, 3 août 1837 (AAQ,
Gouvernement, II : 85), RAPQ cité : 204.
3 Mgr Briand à M. Mérineau, 10 mars 1774 (AAQ, Copies de lettres, TV :
479), RAPQ, 1929-30 : 104.
4 On le constate en 1805, lorsque Mgr Denaut, obligé de faire des changements
chez les missionnaires, espère que le Gouvernement continuera à verser les
40 livres sterling. Mgr Denaut au président Thomas Dunn, 3 oct. 1805 (AAQ,
Registre cité, IV : 206), RAPQ, 1931-32 : 237; lettre à Mgr Denaut, 7 oct. 1805
(AAQ, Gouvernement, I : 84), RAPQ cité. Ce salaire prend fin en 1837 : le
secrétaire Walcott à Mgr Signay, 28 fév. 1837 (AAQ, Gouvernement, II : 83),
RAPQ, 1938-39 : 190.
— 12 —

l'évêque un loyer de 150 livres sterling par année : ce qui explique
pourquoi les députés du Bas-Canada siégeront dans la chapelle épiscopale...
Porté ensuite à 500 livres, le loyer finit par atteindre 1,000 livres.
Or ce palais tombait en ruines et ne suffisait plus aux besoins de la
Chambre d'Assemblée : l'évêque accepta en 1832 de céder édifice et
terrain, moyennant une rente annuelle et perpétuelle de 1,000 livres
(quelque 4,000 dollars), ce qui valait bien mieux qu'un loyer précaire
et incertain 5.
L'évêque recevait en outre, pour lui-même, une pension annuelle.
Ce soutien financier s'était manifesté pour la première fois en 1762,
quand Briand n'était encore que grand-vicaire du Gouvernement de
Québec : ne faisant partie d'aucun séminaire ni d'aucun ordre, pourvu
d'un maigre canonicat et personnellement dénué, Briand avait accepté
du gouverneur Murray un cadeau de 20 livres sterling (soit l'équivalent
de son canonicat) « for his good behaviour 6 »* Evêque en 1766, il est
assuré d'une pension annuelle de 200 livres sterling, ce que le Gouvernement
appelle un «salaire»; il la touche jusqu'à sa mort en 1794, et
cette pension passe alors à Mgr Hubert 7; en 1813, elle est portée de
200 livres sterling à 1,000 livres sterling pour récompenser la loyauté
et la bonne conduite de Msr Plessis8; Mgr Panet, qui lui succède, jouit
à son tour de cette pension9, puis Mgr Signay 10 qui semble bien être
le dernier évêque à se laisser pensionner par le Gouvernement.
Ce Gouvernement protestant ira plus loin dans sa politique de
soutien, en nommant Mgr Plessis au Conseil législatif; et il voudra faire

5 Le gouverneur Carleton et le lieutenant-gouverneur Cramahé à Mgr Briand,
1er mai 1778 (AAQ, Gouvernement, I : 25), RAPQ, 1929-30 : 118; le Secrétaire
d'Etat Bathurst au gouverneur Dalhousie, 31 août 1826 (AAQ, Gouvernement, II :
32 et 34), RAPQ, 1933-34 : 314; Mgr Panet à Mgr Lartigue, 18 fév. 1830 (AAQ,
Registre des lettres, XIV: 180), RAPQ, 1934-35: 379; Mgr Panet au greffier
Glackmeyer, 2 mars 1831 (AAQ, Registre cité, XIV : 355), RAPQ, 1935-36 : 164;
Mgr Panet à Mgr Lartigue, 21 avril 1831 (AAQ, Registre cité, XIV: 373), RAPQ
cité : 169s.; mémoire de Mgr Signay à la Cour de Rome, 9 nov. 1832 (AAQ,
Registre L: 38), RAPQ, 1936-37: 137. Voir aussi TÊTU, Histoire du palais
episcopal de Québec, 89ss.
6 Sur cette question, voir Marcel TRUDEL, L'Eglise canadienne sous le
régime militaire, 1759-1764, I : 229-231. Les 20 livres sterling équivaudraient à
quelque $480 d'aujourd'hui.
7 Mgr Hubert à Mgr Denaut, 27 oct. 1794 (AAQ, Registre des lettres, II :
163), RAPQ, 1930-31 : 309.
8 Le Secrétaire d'Etat Bathurst au gouverneur Prévost, 2 juil. 1813 (AAQ,
Registre H : 64), RAPQ, 1932-33 : 95; le secrétaire Brenton à Mgr Plessis,
4 oct. 1813 (AAQ, Gouvernement, I : 112), RAPQ cité : 95.
9 Mgr Panet au gouverneur Dalhousie, 28 oct. 1826 (AAQ, Registre des
lettres, XIII : 37), RAPQ, 1933-34 : 313.
10 Mémoire de Mgr Signay à la Cour de Rome, 9 nov. 1832 (AAQ, Registre
L : 38), RAPQ, 1936-37 : 137; Msr Signay au secrétaire Craig, 8 nov. 1833 (AAQ,
Registre des lettres, XVI : 4), RAPQ cité : 225. En 1834, Mgr Signay donne
400 livres de cette pension à son coadjuteur Turgeon qui vient d'être sacré :
Mgr Signay à Mgr Turgeon, 4 juin 1834 (AAQ, Evêques de Québec, VII : 15),
RAPQ, 1937-38 : 26.
— 13 —

davantage en proposant à Mgr Signay en 1832 d'accepter un siège au
Conseil exécutif, c'est-à-dire devenir ministre d'Etat11.
C'était, en tout cela, apporter à l'Eglise une bien dangereuse sécurité.
En permettant et surtout en demandant à l'Etat protestant de
servir de bras séculier, on l'amenait à intervenir dans la vie personnelle
de l'Eglise. Certes, le loyer qu'on acceptait pour le palais episcopal
ne pouvait guère établir qu'une relation strictement profane, mais il
n'en était pas de même de la pension que touchait l'évêque : Mgr Desgly
en avait souhaité la continuation13; Mgr Hubert était heureux d'enl
profiter et il écrivait, tout en badinant, à son coadjuteur : « Avec cela,
je suis riche et j'espère que vous le serez aussi à votre tour 13 »;
lorsqu'elle est augmentée au bénéfice de Mgr Plessis, le coadjuteur
Panet en félicite son évêque14, et quand il en hérite, il marque son
contentement au gouverneur Dalhousie15. Il arrive parfois qu'on
s'inquiète; à propos de cette pension qui passe soudain de 200 livres à
1,000 livres, le coadjuteur Panet écrit à Mgr Plessis : « Il est bon que
cette gratification ne lui [à l'évêque] soit venue qu'après que le clergé
a montré sa loyauté. Le peuple aurait pu croire qu'elle avait influé sur
son zèle. Je souhaite que ce ne soit pas pour lui par la suite une
occasion de juger que les évêques sont trop dépendants 16. » Mais que
la gratification vienne après ou avant, elle n'en reste pas moins une
façon de lier l'évêque aux intérêts du Gouvernement, et c'est, par exemple,
le résultat que recherche le lieutenant-gouverneur Milnes en 1800 :
Mgr Denaut. « animé des meilleurs sentiments à l'égard du gouvernement
», se plaint que ses revenus ne soient pas conformes à sa situation;
et Milnes trouve l'occasion heureuse pour la politique britannique :
« C'est une occasion, écrit-il, d'attacher plus étroitement l'évêque
canadien au gouvernement, s'il plaît à Sa Majesté d'augmenter son
traitement de manière à améliorer sa situation 17. »
Quant à l'honneur de faire partie des conseils de Sa Majesté, il
était tout aussi périlleux pour l'évêque. Lorsque le gouverneur Aylmer
offre, en 1832, à Msr Signay d'entrer dans le Conseil exécutif, c'est un
geste qu'on vient de faire à l'égard de Papineau et de Neilson pour
revaloriser le Conseil exécutif aux yeux de la population; Papineau et
Neilson venaient de refuser, mais il y eut hésitation parmi l'épiscopat :
le coadjuteur Turgeon servit d'intermédiaire entre l'évêque et le gouverneur;
et alors que Mgr Lartigue optait pour un refus, Mgr Provencher
se réjouissait de la promotion. Finalement, Mgr Signay porta au

1 1 Voir plus bas, note 18.
12 Mgr Desgly à l'abbé Hussey, 2 déc. 1784 (AAQ, Evêques de Québec, II :
3), RAPQ, 1930-31 : 186.
13 Mgr Hubert à Mgr Denaut, 27 oct. 1794 (AAQ, Registre des lettres, II :
163) RAPQ 1930-31 : 309.
' l é Mg'r Panet à Mgr* Plessis, 27 oct. 1813 (AAQ, Evêques de Québec, IV:
49), RAPQ, 1933-34: 241.
15 Voir plus haut, note 9.
16 Mgr Panet à Mgr Plessis, lettre citée.
1 7 Le lieutenant-gouverneur Milnes au duc de Portland, 1er nov. 1800, Doc.
constitutionnels, 1791-1818 : 255.
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gouverneur une réponse négative; et il écrit à Mgr Provencher : « Vous
vous réjouissez de me voir dans le Conseil exécutif, et moi, je suis
content de n'y être pas entré, par des circonstances que j'attribue à la
divine Providence qui juge mieux de ce qui est avantageux au bien
de la religion 18. » L'acceptation de Msr Signay eût signifié l'engagement
total de l'Eglise dans la politique du Gouvernement ! Les évêques
ne devinrent donc pas ministres d'Etat, mais au moins un, Mgr Plessis,
avait accepté d'être membre du Conseil législatif. Rome s'en inquiète
et demande des explications à Mgr Plessis ; celui-ci répond qu'il a accepté
pour empêcher les conseillers protestants de se mêler des affaires de
l'Eglise et pour promouvoir les intérêts ecclésiastiques; la réponse de
M8' Plessis fut étudiée par la Congrégation de l'Inquisition et Rome
permit à Msr Plessis de garder son poste 19. Cet évêque pouvait être
sincère dans ses objectifs, mais à cette époque de conflits entre une
Chambre d'Assemblée élue par le peuple et un Conseil législatif qui
défendait âprement les privilèges de la Couronne, MgP Plessis risquait
fort de passer pour l'homme du Gouvernement, et c'est assez ce qui lui
est arrivé; Mgr Lartigue écrit que, pour avoir fait partie du Conseil,
Mgr Plessis a beaucoup baissé dans l'estime de ses ouailles : « malgré
son caractère connu il passait chez beaucoup de Canadiens et plusieurs
du premier rang, pour trop enclin à suivre toutes les mesures du
Gouvernement»; et Mgr Lartigue ajoute: «Je crois d'ailleurs que la
religion perd plus qu'elle ne gagne dans ces honneurs civils rendus à
l'Episcopat20. » A mesure que l'évêque assurait son rang social, il
augmentait sa dépendance à l'égard du pouvoir civil.
Offre d'un siège dans le Conseil exécutif, attribution d'une place
au Conseil législatif, loyer de 1,000 livres et pension de 1,000 livres
versés à l'évêque, paiement d'un salaire aux missionnaires des sauvages,
appui du bras séculier : tout cela engage l'Eglise dans la servitude et,
à cette Eglise qu'il protège avec intérêt, l'Etat ne ménage pas ses
pressions de toutes sortes.
Le Gouvernement intervient auprès de l'évêque pour que les curés
fassent le recensement des grains21 et le dénombrement de la popula-

18 Mgr Lartigue à Mgr Signay, 22 déc. 1831 (AAM, Registre des lettres,
VI : 178), RAPQ, 1942-43 : 127s.; Mgr Signay à lord Aylmer, 17 déc. 1832 (AAQ,
Gouvernement, II : 61), RAPQ, 1936-37 : 146; le même à Mgr Provencher,
11 avril 1833 (AAQ, Registre des lettres, XV : 367), RAPQ, 1936-37 : 182.
19 Le cardinal Somaglia à Mgr Plessis, 1er oct. 1825 (AAQ, Correspond,
manuscrite de Rome, III : 108 et 224), RAPQ, 1932-33 : 238.
20 Me' Lartigue à Mgr Signay, lettre citée.
21 II y eut recensement des grains par les curés à la demande du Gouvernement,
en 1800, en 1805, deux fois en 1812, puis en 1815 et en 1816 : Ryland à
Mgr Denaut, 11 juin 1800 (AAQ, Gouvernement, I: 81), RAPQ, 1931-32: 169;
circulaire de J.-O. Plessis, 18 juin 1800, dans Mandements, II : 520; circulaire
d'Ant. Tabeau, 8 avril 1805, dans Mandements, II : 541; le secrétaire Brenton à
Mgr Plessis, 7 mai 1812 (AAQ, Gouvernement, I : 101), RAPQ, 1932-33: 84;
circulaire de Mgr Plessis, 9 mai 1812, dans Mandements, III : 79; circulaire de
Deschenaux, 20 juil. 1812, ibid., Ill : 91; circulaire de Mgr Plessis, 10 déc. 1815,
et Mémoire de Plessis, 15 fév. 1816, ibid., Ill : 127-132 ; circulaire du même,
22 oct. 1816, ibid., Ill : 134s.

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tion, ce que le clergé n'avait jamais fait sous le régime français.
Mer Hubert admet volontiers que c'est là une besogne onéreuse, mais
qu'il ne pouvait la refuser au gouverneur et que les Canadiens en
retireraient un avantage sérieux23; et il s'en excuse auprès de ses
archiprêtres : « Comme je n'aime pas à charger le clergé d'un ouvrage
qui n'est pas précisément le sien, je n'ai consenti à donner la lettre
circulaire ci-jointe, qu'après avoir témoigné la répugnance que j'y avais,
depuis trois ans, en plusieurs occasions différentes 24. »
Le gouverneur ne se gêne pas peur exiger mandements et lettres
circulaires. Sous le régime militaire, Gage avait en 1762 manié les
ciseaux de la censure dans un mandement ecclésiastique25; sous le
régime anglais, le gouverneur intervient d'une façon tout aussi encombrante.
Pour inviter les Canadiens à repousser l'envahisseur, Msr Briand
avait préparé une lettre circulaire, mais Carleton (qu'il appelle « le plus
aimable des hommes, un homme charmand » ) exige plutôt un mandement,
et Mgr Briand lui donne satisfaction 26. Ou bien, par ses circulaires,
l'évêque se fait en quelque sorte le publiciste, le crieur public
du Gouvernement; ce qui ne se faisait pas sous le régime français, la
diffusion des édits et ordonnances étant assurée par le capitaine de
milice27. En 1768, l'évêque publie une circulaire pour faire connaître
les intentions du Gouvernement au sujet des cabarets; en 1772, c'est
pour apprendre aux paroissiens qu'il est défendu de donner retraite aux
soldats déserteurs; en 1775, pour annoncer le rétablissement des milices;
en 1781, pour répandre une ordonnance sur les blés: en 17905 pour
inviter les curés à collaborer à l'organisation de la milice; en 1812,
pour que les paroissiens fassent les récoltes à la place des miliciens
absents28, et dans une autre circulaire de 1812, Mgr Plessis transmet
aux curés la satisfaction du gouverneur pour l'aide qu'ils ont apportée
« tant dans la levée des milices, que dans le maintien de la subordination,
qui règne parmi elles29 ». Plusieurs fois, l'évêque se fait tout

2 2 Dénombrements en 1789, 1790, 1822 (deux fois) et en 1825 : circulaire
de Mgr Hubert, 9 déc. 1789, dans Mandements, II : 396; lettre du même,
22 déc. 1789, ibid., II : 397; circulaire du même, 25 mars 1790, ibid., II: 398;
lettre de Cochrane à Mer Plessis, 18 janv. 1822 (AAQ, Gouvernement, II : 15),
RAPQ, 1932-33 : 182: circulaire de Mgr Plessis, 1er déc. 1822, dans Mandements,
III : Ï67; circulaire du même, 25 mai 1825, ibid., Ill : 187.
23 Mgr Hubert au curé Jean-Pierre Mennard, 22 déc. 1787 (AAQ, Registre
des lettres, I : 112), RAPQ, 1930-31 : 224.
2 4 Le même aux archiprêtres, 22 déc. 1789, dans Mandements, II : 397.
2 5 TRUDEL, UEglise canadienne sous le régime militaire, I : 201.
2 6 Mgr Briand au grand-vicaire Saint-Onge, mai 1775 (AAQ, Copies de
lettres, IV: 559), RAPQ, 1929-30: 110; projet^ de circulaire, 22 mai 1775, AAQ,
Evêques de Québec, I : 179; mandement du même jour, Mandements, II : 264s.
2 7 Depuis 1717, les curés n'avaient plus, en principe, qu'à lire tous les trois
mois un édit de 1556 contre les femmes qui cachaient leur grossesse et laissaient
périr leurs enfants {Edits, ordonnances royaux, I : 375s.).
2 8 Circulaire de Mgr Briand, 15 oct. 1768; circulaire du même, 11 mai 1772:
circulaire de Montgolfier, 13 juin 1775; circulaire de Mgr Briand, 17 janv. 1781;
circulaire de Mgr Hubert, 7 août 1790; circulaire de Deschenaux, 24 août 1812 :
Mandements, II : 213, 244, 265s., 302s., 432; III : 92.
2» Circulaire de Mgr Plessis, 6 oct. 1812, ibid., Ill : 93.

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simplement le distributeur des missives gouvernementales : en 1790,
Msr Hubert transmet à ses curés le texte des ordres concernant la milice;
en 1798, le coadjuteur Plessis est invité à distribuer des brochures du
Gouvernement parmi le peuple et à transmettre aux curés une proclamation
civile d'action de grâces; en 1805, à la demande du lieutenantgouverneur,
Mgr Denaut envoie à ses curés deux lois à afficher ; en 1807,
l'administrateur Dunn veut publier un ordre sur la milice : il en fait
distribuer le texte par Févêque; en 1813, Mgr Plessis reçoit cent exemplaires
d'une proclamation qu'il enverra à son clergé; en 1832, profitant
de l'expédition d'un mandement sur le jeûne, Mgr Panet y joint une
proclamation du gouverneur; en 1838 (et ce serait la dernière fois que
l'évêque sert ainsi de véhicule), Mgr Signay se soumet au désir de
Durham et envoie aux curés des exemplaires de la célèbre proclamation
de 1838 pour lui procurer « la plus grande publicité possible parmi
vos paroissiens 30 ».
Mgr Plessis, pour sa part, semble n'avoir jamais protesté, se
contentant tout au plus en 1807 d'inviter les curés à faire lecture d'une
ordonnance civile hors du service divin et de l'église31; en 1810, à
l'occasion de l'affaire du Canadien, il va même jusqu'à distribuer à ses
curés cette proclamation de Craig qui tendait, écrit l'évêque, « à détruire
les impressions dangereuses qu'aurait pu faire sur les esprits des sujets
de cette province, la circulation de certains écrits propres à créer de la
défiance, de l'éloignement et du mépris du Pouvoir Exécutif de Sa
Majesté »; et Mgr Plessis invita ses curés à augmenter chez leurs paroissiens
la confiance dans le Gouvernement 32. En cette crise politique où
la liberté venait de souffrir durement, Mgr Plessis et son clergé eurent
l'air, aux yeux du peuple, de se ranger ouvertement dans le parti de
Craig 33. Quant à Mgr Lartigue, regrettant que Mgr Panet ait envoyé
avec son mandement sur le jeûne une proclamation « anti-française du
gouverneur », il lui écrit qu'on a été très froissé en certains milieux :
« J'apprends que des curés ont été si mécontents de recevoir la proclamation
du gouverneur en même temps et par la même voie que votre
mandement, qu'ils ont comparé cette époque à celle où le général Craig

3 0 Circulaire de Mgr Hubert, 7 août 1790; circulaire de Mgr Denaut,
19 avril 1805; circulaire de Mgr Plessis, 17 sept. 1807 et 21 mars 1810 : Mandements,
II : 432s., 542; III : 33s., 43-50. Le secrétaire Gale à Mgr Plessis, 12 oct. 1798
(AAQ, Gouvernement, I : 69), RAPQ, 1932-33 : 4s.; le même au même, 26 déc. 1798
(ibid., I : 75), RAPQ cité : 5; Ryland à Mgr Plessis, 18 sept. 1807 (ibid., I : 86),
RAPQ cité : 44; le secrétaire Brenton à Msr Plessis, 19 oct. 1813 (ibid., 1: 113),
RAPQ cité : 95; Mgr Lartigue à Mgr Panet, 5 mai 1832 (AAM, Reg. des lettres,
VI : 293), RAPQ, 1942-43 : 144; le même à Mgr Signay, 31 janv. 1833 (ibid.,
VII : 52), RAPQ, 1943-44 : 215. Dans une lettre, Mgr Lartigue écrit que certains
curés de Montréal ont lu en chaire, à même la Gazette, le mandement episcopal
et la proclamation du gouverneur : c Voyez le bel effet !» (le même au même,
11 fév. 1833, ibid., VII : 65; RAPQ cité : 217).
3 1 Circulaire de Mgr Plessis, 17 sept. 1807, Mandements, III : 33s.
3 2 Circulaire du même, 21 mars 1810, ibid., Ill : 43-50.
3 3 Le curé Boucher à Mgr Plessis, 28 mars 1810 (AAQ, Gouvernement,
VI : 52), RAPQ, 1932-33 : 66. Sur la lecture en chaire ou sur le perron de
l'église, voir diverses lettres de curés à Mgr Plessis en mars et avril 1810 (AAQ,
Gouvernement, VI : 53-70), RAPQ, 1932-33 : 66-69.

— 17 —
envoyait les siennes par le canal de l'évêque, et j'en connais qui ont
laissé de côté cette proclamation, sans la remettre à personne, parce
qu'ils ne se regardent pas avec raison, comme officiers publics du
gouvernement civil34. » On comprend alors que, devant une hiérarchie
ecclésiastique qui consent à servir de courrier royal, un gouverneur ait
pris sur lui d'annoncer lui-même jeûne et prières publiques; à Mgr Panet
qui ne semble pas s'inquiéter, Mgr Lartigue écrit qu'il est contraire à la
discipline de l'Eglise d'annoncer des jeûnes dans le temps pascal, que
c'est là chez le gouverneur un acte de suprématie inconvenant pour les
catholiques et dont il faut le guérir35.
L'Eglise ressent encore cette servitude dans le recrutement de ses
membres. En 1763, le roi avait décidé de laisser s'éteindre les Jésuites
et les Récollets. Le sort qu'on impose aux Jésuites peut, dans le
contexte de l'époque, se comprendre facilement, les Jésuites étant déjà
persécutés ou pourchassés par des pays catholiques; mais pourquoi s'en
prendre aux Récollets ? Il semble bien que l'Angleterre ait voulu par
là réduire tout le clergé à un état séculier, plus immédiatement soumis
à l'évêque et plus facilement contrôlable. Le Gouvernement veille aussi
à bloquer l'entrée de toute nouvelle communauté religieuse. A une
époque où l'Eglise du Canada voit diminuer ses effectifs d'une façon
alarmante, voici que s'amène à Québec en 1801 un Père Zocchi, de la
Société de la Foi de Jésus : il espère s'établir avec les siens dans le
Bas-Canada. Mgr Denaut remercie le ciel de ce secours; or le Père
Zocchi passe en vain l'hiver à Québec : le lieutenant-gouverneur refuse
de les admettre dans la province; l'évêque espère qu'ils pourront au
moins s'établir en Nouvelle-Ecosse, qui fait alors partie du diocèse de
Québec, mais le Père Zocchi en est réduit à passer aux Etats-Unis avec
ses religieux36. En 1828, Mgr Lartigue projette de faire venir des
Frères de la Doctrine chrétienne, mais l'évêque Panet lui répond que
cela ne peut se faire; pourquoi? «Le Gouvernement s'opposeroit à
l'introduction de ces personnes et ne les souffriroit pas dans la Province,
sous prétexte que ce sont des étrangers [...] on les considéreroit comme
des Religieux et c'est assez pour leur fermer l'entrée de la Province 37. »
Et l'Eglise canadienne continue de vivoter sans pouvoir accepter de
secours extérieur.
Le pouvoir civil intervient aussi dans les cures. Sous le régime
français, l'Eglise l'avait emporté sur l'Etat en assurant l'amovibilité des
cures et le gouverneur n'avait aucune autorité sur elles : l'évêque d'avant

34 Mgr Lartigue à Mgr Panet, 5 mai 1832, et à Mgr Signay, 31 janv. 1833
(AAM, Registre des lettres, VI : 293; VII : 52), RAPQ, 1942-43 : 144; 1943-44 : 215.
35 Le même au même, 16 avril 1832 (ibid., VI : 270), RAPQ, 1942-43 : 141;
le même au même, 24 avril 1832 (ibid., VI : 285), RAPQ cité : 143.
36 Mgr Denaut à Mgr Plessis, 9 déc. 1801 (AAQ, Reg. des lettres, IV : 90),
RAPQ, 1931-32 : 187; le même au même, 21 avril 1802 (ibid., IV : 96), RAPQ
cité : 190; le même au même, 14 juin 1802 (ibid., IV : 100), RAPQ cité : 192;
le même au vic.-gén. Burke, 14 juin 1802 (ibid., IV: 101), RAPQ cité : 192; le
même au même, 10 sept. 1802 (ibid., IV : 106), RAPQ cité : 194.
37 Mgr Panet à Mgr Lartigue, 27 déc. 1828 (AAQ, Reg. des lettres, XIII :
504), RAPQ, 1933-34 : 421.

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1760 demeure parfaitement maître en ce domaine. C'est Murray qui
le premier s'arrogea, sous le régime militaire, le droit d'intervenir dans
la nomination des curés, et cela, écrit-il, « en vue de tenir ces curés
dans un état de sujétion nécessaire38»; un article des instructions
royales vint en 1775 préciser que « personne ne pourra recevoir les
ordres sacrés et n'aura charge d'âmes sans avoir au préalable obtenu »
la permission du gouverneur39. Comme bien d'autres articles, celui-ci
pouvait demeurer lettre morte sans que le gouverneur en soit blâmé,
mais il était toujours à craindre qu'un gouverneur applique rigoureusement
ces instructions ou se fonde sur elles pour exercer quelque gênante
pression. A cause d'une pression de ce genre ou tout simplement par
faiblesse devant le pouvoir politique, Msr Denaut aura l'habitude, de
1797 à 1805 (c'est-à-dire pendant tout son épiscopat), d'envoyer à
l'autorité anglaise, pour approbation, un rapport annuel de ses nominations
aux cures : quand il se juge en retard, il s'en excuse; si un mois
ou deux après la présentation de son rapport, il survient un nouveau
changement d'obédience, Mgr Denaut rédige un nouveau rapport à
l'adresse du gouverneur. On ne sent chez lui aucune réticence, bien au
contraire : « Je le fais aujourd'hui [...] avec un nouveau plaisir »,
écrit-il en 1799; ou, en 1802 : « Ce rapport, que j'aime à lui faire tous
les ans, me procure le précieux avantage de lui présenter mes respectueux
hommages » ; il insiste sur sa fidélité à remplir ce devoir : « Depuis
que je suis évêque en titre, je n'ai pas manqué de donner aux gouverneurs
connaissance des arrangements que les circonstances amènent tous
les ans, dans mon diocèse 40. »
Il ne faut pas alors s'étonner que les autorités anglaises en profitent
pour pousser de l'avant certains candidats ou pour en éloigner d'autres.
En 1774, Pierre-Antoine Porlier, curé de Sainte-Anne-de-la-Pocatière,
souhaite obtenir la cure de Québec et l'évêque est prêt à donner son
consentement, mais le lieutenant-gouverneur Cramahé, qui vient de faire
entrer Msr Briand dans la cathédrale, s'y oppose : Porlier n'aura pas
sa promotion 41. En 1797, le gouverneur Prescott désire qu'on offre à
Pierre-Simon Renauld la cure de Saint-Laurent (près Montréal) :
Mgr Denaut se rend à cette demande42. En 1798, le prince Edouard,

3 8 Voir là-dessus TRUDEL, op. cit., I : 216-221.
3 9 Art. 21 des instructions à Carleton, 3 janv. 1775, dans Doc. constitutionnels,
1759-1791, II : 587.
40 ]y[g' Denaut au gouv. Prescott, 25 sept. 1797; le même au même,
23 oct. 1797; le secrétaire Ryland à Mgr Denaut, 14 nov. 1797; Msr Denaut à
M81" Plessis, 25 oct. 1798; le même au gouv. Prescott, 25 oct. 1798; le même au
même, 2 déc. 1798; Prescott à Mgr Denaut, 13 déc. 1798; Mgr Denaut au lieut.-
gouverneur Milnes, 30 sept. 1799; le même au même, 18 déc. 1800; le même au
même, 9 déc. 1801; le même au même, 22 nov. 1802; le même à Thomas Dunn,
3 oct. 1805; le même à M8r Plessis, 3 oct. 1805 (AAQ, Reg. des lettres, II : 342,
348; IV : 8, 9, 13, 31, 74, 90, 127, 206, 207; Gouvernement, I : 66, 73), RAPQ,
1931-32 : 138, 140, 141, 153, 155, 161, 179, 186, 200, 237.
41 Mgr Briand à Porlier, 14 mai 1774 (AAQ, Copies de lettres, IV : 503),
RAPQ, 1929-30 : 105.
42 Mgr Denaut au curé Renauld, 5 sept. 1797 (AAQ, Reg. des lettres, II :
340), RAPQ, 1931-32 : 135.

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qui avait séjourné à Québec de 1791 à 1793, demande par lettre à
Msr Denaut que Gilmer, prêtre irlandais émigré de France, soit placé
de manière avantageuse : Mgr Denaut le nomme grand-vicaire en
Nouvelle-Ecosse; mais voici que ce Gilmer se présente dans le Bas-
Canada : comme le prince avait parlé d'un bon poste, l'évêque destine
Gilmer à la cure de Saint-Nicolas et s'excuse auprès du prince de ne
pouvoir faire mieux; Gilmer refuse : l'évêque coadjuteur est convoqué
chez le gouverneur et celui-ci ne donne raison à l'évêque que lorsque
Gilmer a suffisamment démontré qu'il est intraitable43. Ou l'autorité
civile intervient pour faire déplacer un curé : en 1800, le curé de
Terrebonne, Beaumont, se mêle de l'élection du député de Bouc; Ryland
écrit à l'évêque que, de l'avis du lieutenant-gouverneur Milnes, il
vaudrait mieux envoyer Beaumont dans une autre paroisse : Mgr Denaut
retire de Terrebonne le curé Beaumont et, lorsqu'il l'envoie l'année
suivante à Verchères, il a soin d'en avertir tout de suite le lieutenantgouverneur
44.
Interventions peu importantes en elles-mêmes, mais elles illustrent
bien la « suprématie » que s'arroge l'autorité civile anglaise. Ces
interventions ne sont pas des accidents, elles sont les étapes d'une
politique bien définie, dont le lieutenant-gouverneur Milnes a été le
principal artisan. Cette politique, comme la décrira Mgr Plessis, « seroit
de faire nommer par le Gouvernement tous les curés du Diocèse et de
leur faire donner des commissions Royales pour assurer leurs droits
temporels en même temps que l'évêque leur donneroit la jurisdiction
spirituelle [...]. Combien de fois ne pourra-t-il pas arriver que le
Gouverneur voudroit commissionner un prêtre que l'évêque ne jugeroit
pas Digne de la place dont il s'agiroit ? D'ailleurs, ce point n'est pas
le seul sur lequel ils entendent empietter. C'est courir à grands pas à
la dégradations du Clergé et à la destruction de la Religion catholique
en ce pays. » En retour du droit de nommer aux cures, Milnes offrait
à l'évêque un établissement solide; mais, se demandait Msr Denaut, si
le gouverneur présente aux cures et si celles-ci deviennent inamovibles,
que restera-t-il à l'évêque ? « J'aimerais donc mieux mon état précaire,
tel qu'il est, que cet établissement solide, tel qu'il m'est offert. »
Mgr Denaut se laisse quand même prendre au jeu : sous prétexte de lui
procurer un état temporel plus avantageux, Milnes l'amène à demander,
dans une requête au roi, cette « existence civile tant pour lui que pour
les curés du Diocèse » avec les « prérogatives, droits et émoluments
temporels » que le roi voudra y attacher; cette requête, selon Mgr Plessis,

43 Le prince Edouard à Msr Denaut, 10 août 1798; Mgr Denaut à
Mgr Plessis, 17 sept. 1798; le même à Gilmer, 24 sept. 1798; le même au prince
Edouard, même jour; le même à Gilmer, 8 oct. 1798; le prince Edouard à
Mgr Plessis, 15 oct. 1798; le secrétaire Gale à Mgr Plessis, 18 oct. 1798; le
même au même, 20 oct. 1798 (AAQ, Gouvernement, I : 68, 70, 71, 72; Reg. des
lettres, II : 363, 366, 367, 370), RAPQ, 1931-32 : 147, 149, 150; 1932-33 : 5.
44 Ryland à Mgr Denaut, 3 sept. 180O; Mgr Denaut au curé Beaumont,
26 sept. 1800; Mgr Denaut à Milnes, 18 déc. 1800; le même à Beaumont,
29 août 1801; le même à Milnes, 10 sept. 1801 (AAQ, Gouvernement, I : 83;
Reg. des lettres, IV : 65, 74, 81, 84), RAPQ, 1931-32 : 171, 174, 179, 183, 184.

— 20 —
pouvait donner occasion au gouverneur « de se faire autoriser à nommer
aux cures », et c'est pourquoi Mgr Denaut exprimera son repentir de
l'avoir signée45.
Avec moins d'habileté et de charme que Milnes, le gouverneur
Craig voudra en 1811 pousser les choses jusqu'au bout. Au cours de
trois célèbres conversations entre lui et Mgr Plessis, il tente d'allécher
l'évêque par un « établissement solide » aux conditions que Milnes avait
proposées à Mgr Denaut; il use de menaces à peine voilées, mais
Mgr Plessis, si faible vis-à-vis le Gouvernement sur d'autres points, lui
oppose le refus le plus ferme46.
Même s'il intervient de temps à autre dans la nomination aux
cures et s'il soumet les curés à diverses corvées civiles, le Gouvernement
devra en ce domaine laisser toute juridiction à l'évêque; il a plus de
succès dans le domaine episcopal. Cela se produit dès le début du
régime anglais. Réuni dans le plus grand secret, ce 15 septembre 1763,
le Chapitre de Québec élit pour évêque le sulpicien Montgolfier, supérieur
d'une riche communauté, homme imposant qui pouvait se passer
de tout secours de l'Etat; peu après, Murray est nommé gouverneur
général, il a son propre candidat : le grand-vicaire Briand, homme
timide et sans ressources, attaché à aucune communauté et qui avait
déjà reçu l'aide financière de Murray. A cause de l'opposition officielle
qu'on lui fait, Montgolfier se désiste; les chanoines procèdent à une
autre élection le 11 septembre 1764 : ils élisent Briand 47. Le régime
anglais, vieux d'à peine un mois, commençait mal pour l'Eglise canadienne
dont l'évêque était l'élu du gouverneur anglais et protestant.
Carleton et plusieurs autres gouverneurs joueront le même rôle
que Murray; afin d'assurer la survivance de l'épiscopat, Mgr Briand
avait obtenu de Rome qu'il désignerait lui-même son coadjuteur et
successeur. Arrivé au pays en 1766, il songe tout de suite à se donner
un coadjuteur et il en demande la permission au lieutenant-gouverneur
Carleton 48 ; d'ailleurs, à cause de sa timidité et des problèmes que lui
causaient certains de ses prêtres, il parlait déjà, à cinquante-deux ans
seulement, de se retirer. Carleton apprend bientôt que les curés de
Montréal délibèrent sur le choix d'un candidat, il s'inquiète et se rend
chez l'évêque, mais Msr Briand le rassure 49. Carleton laisse traîner

45 Mgr Denaut à Mer Plessis, 25 avril 1805; le même au même, 4 juin 1805;
Mgr Plessis au recteur Bourret, 25 mai 1806; le même au même, 4 juil. 1806
(AAQ, Reg. des lettres, IV : 195, 197, 221, 230), RAPQ, 1931-32 : 231, 232s.;
1932-33 : 25, 28; requête de Mgr Denaut, 18 juil. 1805, dans Mandements, II :
547s.; voir aussi les conversations de Mgr Plessis avec le gouv. Craig, ibid., Ill : 64.
Sur cette politique de Milnes, il faut lire l'article de Jean-Pierre WALLOT, Sewell
et son projet d'asservir le clergé canadien, dans RHAF,XVI, 4 (mars 1963) : 549-566.
4 6 Conversations des 4 et 27 mai et 1er juin 1811, dans Mandements, III :
59-72.
4 7 Sur ce problème, voir TRUDEL, op. cit., I : 243-334.
48 Msr Briand au nonce à Paris, 27 juil. 1770; le même à Villars,
28 juil. 1770 (AAQ, Copies de lettres, IV : 135, 139), RAPQ, 1929-30 : 85.
4 9 Le même au vic.-gén. Marchand, 25 avril 1767 (AAQ, Copies de lettres,
III : 253), RAPQ, 1929-30 : 70.

— 21 —
l'affaire jusqu'en 1770 et donne enfin son consentement. A un correspondant,
MBr Briand raconte que le choix du coadjuteur s'est fait « de
l'agrément du Gouverneur », mais au nonce de Paris il donne une
version moins pudique : le gouverneur, écrit-il, « m'a proposé pour mon
coadjuteur M. Louis-Philippe Mariauchau Desglis » ; ou, comme il l'écrit
à l'un de ses vicaires généraux : le gouverneur « a paru désirer
M. d'Esgly; je n'ai pas cru devoir m'y opposer, c'est un bon prêtre 50 ».
Qui était ce Desgly, choisi par le gouverneur ? un prêtre de soixante
ans, donc de cinq ans plus âgé que l'évêque en titre, affligé de surdité
et dont Ivlb* briand dira dès 17/4 que ce coadjuteur ne lui est pas « d'un
grand secours 51 » ; curé de Saint-Pierre de l'île d'Orléans depuis près
de quarante ans, il va y demeurer non seulement dans le temps de sa
coadjutorerie, mais même une fois devenu évêque de Québec : ce qui
compliquera sérieusement l'administration ecclésiastique. Choisi en
1770, Mgr Desgly ne sera consacré qu'en juillet 1772, à cause de
difficultés survenues à Londres, et ne sera proclamé qu'en 1774. Il
avait fallu huit ans pour assurer la survivance épiscopale, et encore
n'avait-on obtenu, par la décision du gouverneur, qu'un coadjuteur
sexagénaire, entêté jusqu'à sa mort à vivre dans son île, au lieu
d'accepter des appartements au Séminaire de Québec.
Dix ans plus tard, ce même problème de survivance se pose :
Mgr Briand, âgé de soixante-neuf ans, sent croître ses infirmités, son
coadjuteur est un vieillard de soixante-quatorze ans : on pouvait
craindre « que la mort de l'un et de l'autre ne privât encore le diocèse
de la succession épiscopale 52 » : Mgr Briand démissionne donc en 1784
pour que Mgr Desgly, devenu évêque en titre, puisse avoir un coadjuteur.
Profitant, semble-t-il, de l'absence du gouverneur Haldimand (qui vient
tout juste de partir pour l'Angleterre), Mgr Desgly choisit Jean-François
Hubert, ancien secrétaire de Mgr Briand et alors missionnaire à Détroit,
qui n'avait que quarante-cinq ans. Pour Mgr Desgly, le droit du roi
d'Angleterre à nommer l'évêque « paraît incontestable », mais on compte
que « du moins pour cette fois », le roi n'en nommera pas d'autre que
Hubert53. Le Gouvernement n'avait pas encore dit son mot. Il paraît
qu'Haldimand, assez mécontent de ce qui s'était passé, aurait poussé
deux candidats, l'un dominicain, l'autre récollet qu'on disait de tristes
sujets54. En tout cas, Londres exige qu'on offre d'abord la coadjutorerie
à celui-là même qu'on avait écarté vingt ans plus tôt, le sulpicien

50 Mgr Briand au vic.-gén. Marchand, 22 juin 1770; le même au doyen
Lacorne, 27 juil. 1770 (AAQ, Copies de lettres, IV : 153; Cartable des grands
vicaires, 69), RAPQ cité, 85; 1947-48 : 108; voir aussi les lettres plus haut citées,
note 48.
51 Mgr Briand à l'abbé de l'Isle-Dieu, 7 juin 1774 (AAQ, Evèques de
Québec, I : 172), RAPQ, 1929-30 : 107; Mandements, II : 312.
52 Oraison funèbre par M. Plessis, citée dans Mandements, II : 187.
53 Mgr Briand au Saint-Siège, 30 nov. 1784 (AAQ, Evèques de Québec, I :
188), RAPQ, 1929-30 : 132; Mandements, II : 341s.; Mgr Desgly au nonce à Paris,
2 janv. 1785 (AAQ, Registre D: 45), RAPQ, 1930-31 : 187.
54 Adhémar et Delisle à Mgr Briand, 8 mars 1785 (AAQ, Gouvernement,
I : 37), RAPQ, 1929-30 : 132.

— 22 —
Montgolfier. Situation très embarrassante : Rome a déjà accepté
Hubert; quant à Montgolfier, il avait vieilli depuis l'élection secrète de
1763 : âgé de soixante-quatorze ans, il était d'ailleurs malade et
« retombait en enfance » ; il refuse l'invitation dans toutes les formes
et, après seulement, Londres laisse le champ libre à Hubert55. Les
bulles arrivent en mai 1786, mais le lieutenant-gouverneur Hope, faute
d'une confirmation officielle de Londres, ne permet pas de procéder à
la consécration : il faut attendre le nouveau gouverneur, Carleton dit
Dorchester, ce qui retarde le sacre à novembre 1786 56. Mgr Hubert est
le premier évêque du régime anglais à être véritablement le choix de
la hiérarchie catholique, mais les deux années de tractation avaient
failli, à cause de la vieillesse de Mgr Briand et de MBr Desgly, mettre fin
à la survivance épiscopale.
Devenu évêque en titre en 1788, Msr Hubert doit se donner un
coadjuteur : c'est le gouverneur Dorchester qui le choisit. A ne lire
que la correspondance ecclésiastique avec Paris et Rome, on croirait
que l'évêque a procédé en toute liberté57; or nous trouvons dans une
lettre de Msr Hubert à Dorchester l'aveu suivant : « Quand il a plu à
Votre Excellence de nommer Monsieur Bailly pour mon coadjuteur 58. »
Ancien missionnaire d'Acadie et ancien aumônier militaire, Bailly de
Messein avait été pendant quatre ans en Angleterre précepteur des
enfants de Dorchester; lorsque celui-ci revient en 1786, Bailly de
Messein, curé de Neuville, est un assidu du château. De ce coadjuteur
mondain et ambitieux qu'on lui a imposé, Mgr Hubert aura à se
plaindre amèrement, en particulier dans la querelle universitaire de
1789, et il écrira même à Dorchester : « Plus il est voisin du sommet,
plus il s'efforce d'y atteindre. La seconde place dans mon Diocèse ne
lui suffit pas 59. » Pour sa conduite à l'égard de son évêque, Msr Bailly
de Messein sera même menacé de déposition par Rome60.
Ce coadjuteur encombrant décède en 1794 : instruit par l'expérience,
Dorchester va-t-il laisser toute liberté à Mgr Hubert ? Il se
produit un léger changement : l'évêque peut maintenant choisir parmi
trois noms que lui donne le gouverneur. Msr Hubert est tout heureux

55 Lord Sydney au lieut.-gouv. Hamilton, 30 avril 1785; le cardinal Antonelli
à Mgr Briand, 29 juin 1785; Brassier à Mgr Hubert, 12 avril 1790; Mgr Desglv
à Villars, 9 juil. 1785; le même à lord Sydney, 9 juil. 1785; le vic.-gén. Hussey à
Mgr Desgly, 6 déc. 1785 (AAQ, Gouvernement, I : 41; Correspond, manuscrite de
Rome, I : 44; Cartable des grands-vicaires, 17; Evêques de Québec, II : 7, 16;
VI : 24), RAPQ, 1929-30 : 133; 1930-31 : 189, 190; 1947-48 : 115.
56 Le lieut.-gouv. Hope à MBr Hubert, 31 mai 1786 (AAQ, Gouvernement,
I : 48), RAPQ, 1930-31: 201; Mgr Briand au vic.-gén. Hussey, 19 sept. 1786;
Mgr Desgly au gouv. Dorchester, 30 oct. 1786 (AAQ, Copies de lettres, V : 219, 229),
RAPQ cité, 191, 193.
57 Mgr Hubert au cardinal Antonelli, 19 juin 1788; le cardinal Antonelli à
Mgr Hubert, 27 sept. 1788 (AAQ, Registre D : 106, 182), RAPQ cité, 204, 205;
Mgr Hubert à Villars, 20 oct. 1788 (AAQ, Registre des lettres, 1: 8), RAPQ cité, 206.
58 Mgr Hubert au gouv. Dorchester, 1790, dans Mandements, II : 419.
59 Lettre citée.
eo Le cardinal Antonelli à Mgr Hubert et à Mg^ Bailly, 6 avril 1791 (AAQ,
Correspond, manuscrite de Rome, III : 53), RAPQ cité, 247.

— 23 —
de la « liberté du choix » et il écrit : le gouverneur « m'a laissé dans ce
choix une liberté entière sur ceux qu'il m'avoit nommés61 ». Curieuse
liberté entière que celle-là ! En tout cas, parmi ces noms, l'évêque
choisit Pierre Denaut, curé de Longueuil, et il l'invite à remercier le
gouverneur d'avoir pensé à lui62.
Mgr Denaut accède au siège episcopal en 1797 : il lui faut un
coadjuteur. Quand Plessis aura été choisi, Mgr Denaut écrira : « Ce
n'a pas été une petite affaire de nommer un coadjuteur63. » Que
s'est-il passé? La nomination du coadjuteur, vient-il d'écrire, dépend
entièrement du bon plaisir du roi ou du gouverneur, et il est à craindre
que l'épiscopat « ne soit accordé à la brigue ou à la faveur de quelque
ambitieux 64 ». L'histoire Bailly de Messein faillit se répéter lorsque
le prince Edouard, dans des circonstances restées obscures, tenta de
faire passer Pierre-Simon Renauld, curé de Beauport65. On choisit
plutôt Plessis, curé de Québec, réputé pour son éloquence et son vaste
savoir: âgé de trente-quatre ans, il sera le plus jeune évêque du pays
laurentien sous le régime anglais. Il a été le candidat du gouverneur
Prescott; nous ignorons s'il était un candidat unique ou si d'autres
avaient été placés en lice; en tout cas, Mgr Hubert écrit à Prescott :
« Je ne saurais témoigner trop de reconnaissance à Votre Excellence
pour le choix qu'elle a fait du futur coadjuteur. Ce choix est selon
mon coeur 66. »
Quand Mgr Plessis devient évêque en titre, en 1806, à quarantetrois
ans, il a besoin d'un coadjuteur pour assurer la survivance
épiscopale. En 1770, le coadjuteur désigné avait cinq ans de plus que
l'évêque; cette fois, Bernard Panet, curé de la Rivière-Ouelle, en a dix
de plus ! Ce qui donnera lieu longtemps à des inquiétudes. Mgr de
Cheverus écrira à Mgr Plessis en 1817 : « Je regrette bien l'infirmité
de votre vénérable coadjuteur67 »; et, voyant l'évêque titulaire parvenu
à soixante-deux ans quand le successeur à venir en a soixante-douze,
Mgr Lartigue s'en ouvre à Mgr Plessis dans une lettre qu'il lui demande
de brûler : curé de la Rivière-Ouelle depuis quarante-quatre ans, ce
coadjuteur âgé a de la répugnance à vivre en ville, il n'est aucunement
initié à la fonction épiscopale, il serait homme à se laisser imposer un

61 Mgr Hubert à Mgr Denaut, 31 mai 1794 (AAQ, Registre des lettres, II :
133), RAPQ cité, 300; le même au cardinal Antonelli, 13 juin 1794 (AAQ,
Registre E : 36), RAPQ cité, 302.
62 Le même à Mgr Denaut, 26 mai 1794 (AAQ, Registre des lettres, II :
131), RAPQ cité, 300.
63 Mgr Denaut au missionnaire Marchand, 27 sept. 1797 (AAQ, Registre
des lettres, II : 243), RAPQ, 1931-32 : 138.
64 Mgr Denaut au cardinal Gerdil, 10 sept. 1797 (AAQ, Registre G : 1),
RAPQ cité, 137.
65 Mgr Lartigue à Mgr Signay, 20 mai 1834 (AAM, Registre des lettres,
VII : 470), RAPQ, 1943-44 : 265.
66 Mgr Hubert au gouv. Prescott, s.d. (AAQ, Registre E : 81), RAPQ,
1930-31 : 350.
67 Mgr de Cheverus à Mgr Plessis, 8 août 1817 (AAQ, Etats-Unis, II : 30).
RAPQ, 1932-33 : 126.

— 24 —
coadjuteur par le Gouvernement et « où en serait alors la religion dans
ce pays68 ? » Qui donc avait choisi Panet ? La correspondance
officielle nous le présente comme demandé par Mgr Plessis lui-même69,
mais la correspondance officielle a toujours fait illusion sur ce point;
c'est Mgr Panet qui nous donne lui-même la vraie réponse, lorsqu'il
affirme que depuis la conquête il a toujours été d'usage que le gouverneur
choisisse le coadjuteur 70.
Le problème episcopal se pose de nouveau en 1825, à la mort de
Mgr Plessis. Entre temps, il y avait eu nomination de quatre évêques
auxiliaires (McDonell, McEachern, Provencher et Lartigue) : ils avaient
été le libre choix de la hiérarchie catholique, parce qu'aucun d'eux
n'avait droit de succession au siège de Québec, le seul reconnu dans le
Bas-Canada71. Il faudra donc un coadjuteur à Mgr Panet, nouvel
évêque en titre; en 1794, le gouverneur avait présenté trois noms à
Pévêque; en 1825, on procède autrement : c'est l'évêque qui soumet
trois noms au gouverneur Dalhousie, en proposant Joseph Signay,
Pierre-Flavien Turgeon et un candidat qui nous demeure inconnu. Ces
deux derniers firent savoir au gouverneur qu'ils refuseraient l'épiscopat
s'ils étaient choisis. Il ne resta donc plus que Signay : on craignit un
temps que le gouverneur n'ajoutât de lui-même aux candidatures et,
par ailleurs, selon Mgr Lartigue, une faction aurait tenté de mousser la
candidature du célèbre curé Chaboillez dont les polémiques avaient
causé tant d'émoi 72. En tout cas, Dalhousie opta pour Signay et lui
écrivit : « I have selected you to that charge » ; à Mgr Panet, il annonce
dans une lettre : « Having after mature consideration selected Monr
Signay to be the coadjutor in your vacancy, and knowing from yourself

68 Mgr Lartigue à Mgr Plessis, 23 avril 1825 (AAM, Registre des lettres,
III : 200), RAPQ, 1941-42 : 459.
69 Le Préfet de la Propagande à Mgr Plessis, 23 août 1807 (AAQ, Correspondance
manuscrite de Rome, III : 105), RAPQ, 1932-33 : 31.
™ Mgr Panet au Préfet de la Propagande, 21 nov. 1827 (AAQ, Reg. des
lettres, XIII : 289), RAPQ, 1933-34 : 368. Quand il affirme que le choix
du coadjuteur se fait depuis la conquête par le gouverneur, Mgr Panet ajoute
que le gouverneur choisit parmi les trois prêtres présentés par l'évêque; or ici
Mgr Panet fait erreur : Desgly et Bailly ont été désignés sans choix par le
gouverneur; Denaut a été choisi parmi trois noms soumis par le gouverneur et
non par l'évêque; il a pu en être de même pour Plessis et Panet.

71 ~h/[ST Plessis obtint directement de Londres l'approbation de quatre nouveaux
évêques auxiliaires : en 1817, il avait obtenu la reconnaissance d'Alexandre
McDonell pour le Haut-Canada (sacré le 31 déc. 1820), et celle de Bernard Angus
McEachern pour les Maritimes (sacré le 17 juin 1821); en 1819, lors de son
voyage en Angleterre, il fait agréer par le Régent, Joseph-Norbert Provencher pour
la Rivière-Rouge (sacré le 22 mai 1822) et Jean-Jacques Lartigue pour Montréal
(sacré le 21 janvier 1821). Mgr Plessis à lord Bathurst, 20 août et 16 sept. 1819
(AAM, Pièces et actes, I : 2), RAPQ, 1941-42 : 347s.; lord Bathurst à Mgr Plessis,
15 sept. 1819 {ibid., I : 3), RAPQ cité, 348.
72 Mgr Panet au Préfet de la Propagande, 21 nov. 1827 (AAQ, Registre
des lettres, XIII : 289), RAPQ, 1933-34 : 369; Mgr Turgeon à Thomas Maguire,
25 oct. 1833 (AAQ, Evêques de Québec, VII : 5), RAPQ, 1937-38 : 23; Mgr Lartigue
au vie. apostol. Poynter, 13 déc. 1825 (AAM, Registre des lettres, IV : 30),
RAPQ, 1941-42 : 473s.

— 25 —
"that that nomination is acceptable to you 73. »

Ce choix fait, il faut,en plus des bulles de Rome, attendre l'approbation de Londres, et
Dalhousie apporta en l'affaire une innovation dangereuse : il prétendait
qu'il fallait envoyer à Londres trois noms parmi lesquels choisirait
là-bas le Gouvernement74. Le temps passait, et en 1826 Mgr Panet
s'alarme à bon droit : « A mon âge de 74, tout à l'heure accomplis, je
puis à tout moment descendre au tombeau & où en seroit le Diocèse de
Québec, s'il n'y avoit pas de Coadjuteur 75 ? » Enfin, choisi à la fin
de 1825, Msr Signay put se faire sacrer en mai 1827, après un retard
d'un an et demi qui avait lailli interrompre la succession du siège
de Québec.
Au début d'octobre 1832, Mgr Panet devenu trop vieux laisse
l'administration du diocèse à Mgr Signay; tout de suite, le 10 octobre,
le gouverneur Aylmer écrit à Mgr Panet : « Pour ce qui regarde la
question intéressante de trouver un coadjuteur [à Mgr Signay], je prie
votre Seigneurie d'avoir la complaisance de [lui] communiquer mon
désir de m'entretenir avec lui là-dessus; et j'espère que le résultat
contentera et votre Seigneurie et lui76. » Que résultera-t-il de ce rendezvous
de Mgr Signay au château ? une lettre d'Aylmer à Signay le
surlendemain : « Having after mature consideration selected Mons.
Turgeon to be the coadjutor in your vacancy and knowing from
yourself that this nomination is acceptable to you » ; trois mois après,
le coadjuteur Turgeon était déjà accepté par Londres 77. En ce choix
de 1832, c'est encore le gouverneur qui prend l'initiative en faisant venir
l'évêque au château pour discuter d'un coadjuteur, mais c'est l'évêque
qui fait passer son candidat : celui-ci répondait parfaitement aux
vues d'Aylmer.
A cause de la subdivision qui va bientôt se produire pour le diocèse
de Québec dans le Bas-Canada, Mçr Turgeon est le dernier coadjuteur
dont le choix soit à décider entre le gouverneur et l'évêque. Après 1832,
la hiérarchie catholique ne traite plus, sur ce point, qu'avec Rome.
C'est Mgr Lartigue qui eut le courage de poser le premier geste d'indépendance
absolue en 1836 : deux ans plutôt, il s'était choisi un coadjuteur
dans la personne d'Antoine Tabeau sans en rien discuter avec le

73 Lord Dalhousie à Mgr Signay, 10 déc. 1825; le même à MBT Panet,
16 déc. 1825 (AAQ, Gouvernement, II : 26, 29), RAPQ, 1933-34: 264, 265.
7 4 Le même à Mgr Panet, 9 déc. 1825; le secrétaire Cochrane à Mgr Signay,
16 déc. 1825 (AAQ, Gouvernement, II : 25, 30), RAPQ cité, 264, 265; Mgr Panet
à Mgr Poynter, 21 déc. 1825 (AAQ, Registre des lettres, XII : 402), RAPQ cité,
266; lord Goderich au gouv. Aylmer, 3 janv. 1833 (AAQ, Gouvernement, II : 63),
RAPQ, 1935-36 : 272.
75 Mgr Panet à Robert Gradwell, 15 nov. 1826 (AAQ, Registre des lettres,
XIII : 55), RAPQ, 1933-34 : 318.
7 6 Le gouv. Aylmer à Msr Panet, 10 oct. 1832 (AAQ, Gouvernement, II :
56), RAPQ, 1935-36 : 270.
7 7 Le même à Mgr Signay, 12 oct. 1832 (AAQ, Gouvernement, II : 37),
RAPQ, 1936-37 : 131s.; Mgr Signay à Mgr Provencher, 11 avril 1833 (AAQ,
Registre des lettres, XV : 367), RAPQ cité, 180.

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Gouvernement78, mais Montréal n'était pas encore un évêché en titre;
il le devient en 1836. Que fait alors Mgr Lartigue ? Sans en discuter
avec le gouverneur, sans même l'en avertir, il envoie à Rome trois noms
d'épiscopables, dont le dignissimws était Ignace Bourget; mis devant le
fait accompli, le gouverneur et Londres approuvèrent rapidement le
choix de Bourget. Le précédent posé par Msr Lartigue avait bien fait
plaisir à Msr Signay : on se sentait enfin libre 79.
Ce problème de la nomination d'un coadjuteur à l'évêque de Québec
n'était qu'un problème intermittent, ses données pouvaient varier d'un
gouverneur à l'autre, d'un évêque à l'autre, il pouvait être plus ou
moins difficile selon les circonstances, mais il ne se posait que par
intervalles. Or un problème d'envergure harasse sans arrêt pendant
soixante-dix ans l'Eglise catholique du Canada français : la subdivision
de l'immense diocèse de Québec.
Le diocèse primitif couvrait toute la Nouvelle-France, c'est-à-dire
depuis le golfe Saint-Laurent jusqu'au golfe du Mexique; la conquête
l'amputa de la Louisiane, puis le traité de 1783 en détacha l'actuel
territoire des Etats-Unis : il restait quand même les Maritimes, le Bas-
Canada, le Haut-Canada et l'Ouest ! Dès 1783 et plus fortement encore
en 1789, l'évêque de Québec aurait voulu un évêché à Montréal, « mais,
écrivait-il, il faut pour cela auprès des cours de Londres et de Rome,
beaucoup de formalités qui demandent du temps 80 ». Rome manifesta
tout de suite son accord 81, mais il y avait Londres ! Périodiquement,
en 1803, en 1806, en 1809, en 1816, on revient là-dessus, comme lorsque
7 8 Thomas Maguire à Mgr Ange Mai, 14 juil. 1834 (AAQ, Diocèse de
Québec, VII : 118), RAPQ cité, 264. Dégoûté des misères que lui causaient
ses ex-confrères les Sulpiciens, Mgr Lartigue voulait démissionner au bénéfice de
Tabeau, mais ce dernier ne voulait pas accepter la charge, malgré les pressantes
invitations de Rome qui lui donna le titre d'évêque-élu de Spiga : sa mort mit un
terme à la discussion.

79 Mgr Signay à Mgr Lartigue, 26 oct. 1836 (AAQ, Registre des lettres,
XVII : 512), RAPQ, 1937-38 : 133; Mgr Lartigue au cardinal Fransoni,
12 nov. et 28 déc. 1836 (AAM, Registre des lettres, VIII : 312, 342), RAPQ,
1944-45 : 218s., 227; le secrétaire Walcott à Mgr Lartigue, 9 sept. 1837 (AAM,
Pièces et actes, III : 26), RAPQ, 1944-45 : 250. Rome avait décidé en
1834 qu'on lui enverrait trois noms choisis par les évêques, les vicaires généraux
et les supérieurs réunis que, ces noms une fois approuvés, l'évêque de Québec en
présenterait un au Gouvernement britannique. C'est à peu près ce que Rome
réclamait depuis longtemps mais, comme l'écrivait Mgr Panet le 21 déc. 1825
(RAPQ, 1933-34 : 267), il n'était pas possible, sous le gouvernement anglais,
« de suivre la marche ordinaire prescrite par le S. Siège ». Mgr Turgeon écrit
en 1834 : « Situés comme nous le sommes avec le Gouvernement, nous nous voyons
exposés à voir bouleverser à Rome ce que nous aurons réglé ici avec connaissance
de cause », mais depuis que Londres s'est désisté du choix sur les trois noms, il
devient plus praticable d'envoyer trois noms à Rome (Mgr Turgeon à Mgr Lartigue,
24 avril 1834, RAPQ, 1937-38 : 24).
80 Mgr Hubert au Préfet de la Propagande, 24 oct. 1789 (AAQ, Registre
des lettres, 1: 81), RAPQ, 1930-31 : 219s.; Mgr Hubert à Mgr Bailly, 12 août 1789
(AAQ, Registre cité, I : 43), RAPQ cité, 213; Mgr Panet à Maguire et Tabeau,
27 mai 1829 (AAQ, Registre K : 96), RAPQ, 1934-35 : 341.
81 Le Préfet de la Propagande à Mgr Hubert, 6 fév. 1790 (AAQ, Correspondance
manuscrite de Rome, III : 50), RAPQ, 1930-31 : 226.

— 27 —
Mgr Plessis écrivait en 1806 que l'Eglise canadienne « auroit besoin
d'être divisée en quatre ou cinq Diocèses pour pouvoir être gouvernée
passablement82», mais il y avait toujours obstacle du côté de
l'Angleterre.
Mgr Plessis était depuis deux ans reconnu officiellement comme
évêque de Québec par Londres, lorsque le pape Pie VII prend sur lui,
par les bulles du 12 janvier 1819, de nommer Plessis archevêque, en
lui donnant pour sufïragants Mgr McDonell, évêque auxiliaire à Kingston,
et Mgr McEachern évêque auxiliaire à Charlottetown 83. Mgr Plessis
soumet tout de suite à lord Bathurst un projet de quatre nouveaux
diocèses : les Maritimes, Montréal, le Haut-Canada et la Baie d'Hudson;
ce projet laissait quand même au diocèse de Québec une population de
150,000 âmes, répartie sur une étendue de 500 milles ! Or l'initiative
de Rome en 1819 avait causé un froid très dommageable; prétextant
que ce projet donnerait à l'évêque catholique préséance sur l'évêque
protestant, lord Bathurst répondit que le Gouvernement n'y consentirait
jamais 84. De sorte qu'en 1821, nous trouvons, du point de vue de
Rome, un Plessis qui est archevêque au-dessus de ses sufïragants
McEachern, Lartigue, McDonell et Provencher, alors que, du point de
vue de Londres, Plessis n'est qu'évêque et les sufïragants ne sont que
des vicaires généraux 85. Comme le précisait le secrétaire du gouverneur
: « There is one bishop acknowledged in Canada 86. » De Halifax
à Saint-Boniface, il n'y a toujours en 1821 qu'un seul diocèse, qu'un
seul évêque !
Le titre d'archevêque qu'avait reçu Mgr Plessis en 1819 demeurera
donc un titre secret jusqu'en 1844. Il n'était pas facile à dissimuler.
Par exemple, lord Bathurst lit dans la Gazette de Québec que l'archevêque
Plessis a installé à Montréal l'évêque Lartigue; il se plaint tout
de suite que Mgr Plessis a violé les conventions qui avaient été faites
entre eux, mais Mgr Poynter, chargé d'affaires de Plessis, répond que
c'est là une fausse nouvelle, et Bathurst présente des excuses 87. Quand
les bulles arrivent, nommant Mgr McEachern et Mgr McDonell sufïragants
de l'archevêque de Québec, on recommande le grand silence; en 1820,
comme le bref qui établit Mgr Lartigue à Montréal contient le mot

82 Mgr Plessis à Bourret, 25 mai 1806 (AAQ, Registre des lettres, IV : 221),
RAPQ, 1932-33 : 24.
83 Bulles de Pie VII, 12 janv. 1819 (AAQ, Registre H : 242 et 244), RAPQ
cité 141.
84 ' Mgr Plessis à lord Bathurst, 20 août 1819 (AAQ, Registre H : 247), RAPQ
cité, 147; Sherbrooke à Mgr Plessis, 3 sept. 1819 (AAQ, Gouvernement, I : 173),
RAPQ cité, 148; Mgr Plessis au cardinal Fontana, 17 nov. 1819 (AAQ, Correspond,
manuscrite de Rome, III : 152), RAPQ cité, 151.
85 Mgr Poynter à Mgr Plessis, 3 janv. 1821 (AAQ, Angleterre, II : 62),
RAPQ cité, 169; le cardinal Fontana à Mgr Lartigue, 10 déc. 1821 (AAQ, Correspondance
manuscrite de Rome, III : 191), RAPQ cité, 181.
86 Le secrétaire Cochrane à Mgr Plessis, 3 oct. 1823 (AAQ, Gouvernement,
I I : 18), RAPQ cité, 205.
87 Mgr Poynter à Mgr Plessis, 7 avril 1821 (AAQ, Angleterre, II : 87),
RAPQ cité, 173; le même au même, 6 fév. 1822 (AAQ, Angleterre, I I : 92),
RAPQ cité, 183.

— 28 —
archevêque, Mgr Plessis défend qu'on le lise en public; en 1825,
Mgr Panet recommande à Rome de ne pas mettre le mot archevêque
dans les bulles du coadjuteur Signay; encore en 1835, Mgr Lartigue
écrit qu'il ne faut pas lire le bref qui établit Mgr Tabeau à Montréal, à
cause du titre d'archevêque qu'on y donne à Mgr Signay 88.
Dramatique à certains moments, comme dans le cas de Mer Lartigue
89, cette situation ne pouvait durer indéfiniment. On avait réussi à
détacher les Maritimes et le Haut-Canada, mais on ne parvenait pas à
obtenir de Londres qu'il y ait plus d'un diocèse dans le Bas-Canada.
Pour sa part, Mgr Lartigue soutenait sans relâche qu'on devait créer
le siège de Montréal à l'insu du Gouvernement, comme on avait créé
l'archevêché, que l'approbation de la puissance civile n'était pas essentielle
(les évêques de Québec s'en étant passés pendant plus de cinquante
ans) et que l'épiscopat de Québec avait une peur désordonnée
de déplaire au Gouvernement90. Sur ce dernier point, il avait raison :
à cause de la fâcherie de Bathurst en 1819, Mgr Panet en était encore
en 1829 à juger plus prudent de ne pas demander d'évêchés distincts91;
Mgr Signay tergiverse tellement que Mgr Lartigue finit par penser que
l'évêque de Québec s'oppose tout simplement à la subdivision 92. Enfin,
la hiérarchie décide de présenter des requêtes à des gouverneurs de
mieux en mieux disposés, Aylmer et Gosford : lorsque, en 1836, Mgr
Lartigue obtient de Rome un bref qui le nomme évêque en titre de
Montréal, la reconnaissance officielle vient peu après de Londres 93.
Pourquoi le Gouvernement anglais s'était-il entêté à retarder la
multiplication des sièges épiscopaux ? Le refus du Gouvernement a
pu s'expliquer un moment par la parenté de Mgr Lartigue avec ces

88 Mgr Lartigue à Mgr Poynter, 20 oct. 1821; le même à Mgr Signay,
24 janv. 1835 (AAM, Registre des lettres, 1: 134; VII : 661), RAPQ, 1941-42 : 380;
1943-44: 289; Mgr Panet à Mgr Plessis, 5 juil. 1819 (AAQ, Evêques de Québec,
TV : 124), RAPQ, 1933-34 : 250; le même au cardinal Somaglia, 21 déc. 1825; le
même à Gradwell, 15 nov. 1826 (AAQ, Registre des lettres, XII : 407; XIII : 55),
RAPQ cité, 267s., 319.
8 9 C'est surtout parce que Mgr Lartigue n'était que coadjuteur au lieu
d'être évêque en titre à Montréal, que les sulpiciens et d'autres prêtres lui
rendirent la vie impossible pendant de longues années, l'ignorant de la façon la
plus cruelle et le réduisant longtemps à faire de l'Hôtel-Dieu sa résidence épiscopale.
9 0 Mgr Lartigue au Préfet de la Propagande, 20 fév. 1821; le même à
Poynter, 20 oct. 1821 (AAM, Registre des lettres, I : 18, 134), RAPQ, 1941-42 :
358, 380; le même à Mgr Plessis, 5 nov. 1823; le même au révérend Wiseman,
3 nov. 1830; le même à J.-B. St-Germain, 27 août 1836 (AAM, Registre des lettres,
II : 279; V : 355; VIII : 234), RAPQ, 1941-42 : 430; 1942-43 : 89; 1944-45 : 199.
91 Msr Panet au sulpicien Roux, 14 mars 1829 (AAQ, Registre des lettres,
XIV : 19), RAPQ, 1934-35 : 332.
9 2 Mgr Lartigue écrit qu'il n'a invité à son installation ni Mgr Turgeon ni
le clergé de Québec, à cause de Mgr Signay € qui a marqué tant d'opposition à la
prise actuelle de la possession de mon Siège » (Msr Lartigue à M*r Turgeon,
13 sept. 1836, RAPQ, 1944-45 : 205).
«3 Bref du 13 mai 1836 (AAM, Pièces et actes, II : 202), RAPQ cité, 190;
lord Glenelg à lord Gosford, 2 déc. 1836 (AAM, Pièces et actes, II : 202), RAPQ
cité, 232; le secrétaire Walcott à Mgr Lartigue, 24 janv. 1837 (loc. cit.).

— 29 —
Papineau et Viger qui se montraient les durs adversaires de Dalhousie 94 ;
il peut aussi s'expliquer partiellement par l'absence chez les Anglicans
du Canada d'une hiérarchie archiépiscopale95. Mais la raison profonde,
nous croyons la trouver dans le besoin d'asservir l'Eglise catholique:
selon ce que rapporte Mgr Bourget, le gouverneur Thompson
a déclaré qu'il « n'était pas commode pour le Gouvernement d'avoir
affaire à plusieurs évêques et qu'il était de l'avis de sir Kempt qui n'en
voulait qu'un seul auquel seraient référées toutes les affaires qui concernaient
les intérêts mutuels de l'Eglise et de l'Etat96». Dans ce
système d'union de l'Eglise et de l'Etat, il ne fallait à l'Etat qu'un seul
interlocuteur : dès qu'il y a plus d'un évêque en titre, l'Etat perd sa
maîtrise, et tout ce qu'il a construit depuis le gouverneur Murray pour
dominer l'Eglise, s'écroule.
Dans cette longue marche vers la libération, c'est l'installation
de Mgr Lartigue comme évêque en titre à Montréal, en 1836, qui nous
paraît marquer l'étape capitale. Et c'est, d'ailleurs, Mgr Lartigue, simple
coadjuteur ou évêque en titre, qui se sent le plus libre de l'influence
du gouverneur et qui sans cesse aiguillonne ces évêques timides qu'ont
été Panet et Signay 97 ; et quand Mgr Signay s'opposera à la formation
d'une province ecclésiastique par crainte de mécontenter le Gouvernement,
c'est Mer Bourget qui viendra à la rescousse : « Nous devons
faire nos affaires sans nous inquiéter de l'intervention (du Gouvernement),
il nous laissera faire tout ce que nous voudrons, tant que
nous serons de bons et loyaux sujets98.» Mgr Signay cède enfin, les

9 4 C'est une raison que Mgr Panet donne à Mgr Lartigue : lettre du
1e r mai 1826 (AAQ, Registre des lettres, XII : 498), RAPQ, 1933-34 : 289.
95 ]ypr Poynter écrivait à Mgr Plessis en 1824 que Bathurst ne pouvait
consentir à un archevêché catholique : l'évêque protestant de Québec se fût
alors trouvé sur un pied d'infériorité (14 juin 1824, AAQ, Angleterre, II : 128;
RAPQ, 1932-33: 215). En 1829, Mgr Panet écrit à Mgr Lartigue: «En Angleterre,
on ne permettra pas qu'il y en ait un seul [archevêque] dans une Colonie
Catholique tandis qu'il ne peut y en avoir dans les Colonies Protestantes et que
tous les Evêques dépendent de l'Archevêque de Canterbury» (14 janv. 1829, AAQ,
Registre des lettres, XIII : 512; RAPQ, 1934-35 : 322).
9 6 Mgr Bourget à Mgr Turgeon, 8 avril 1840 (AAM, Registre des lettres,
II : 79), RAPQ, 1945-46 : 223.
9 7 Mgr Lartigue, en 1824, conseille à un curé de renvoyer au Gouvernement
sa commission d'aumônier, « parce qu'elle ressent trop la suprématie spirituelle
que le civil prétend s'arroger quelquefois sur l'église catholique ». En 1827, il
écrit qu'il faut parler ferme à Dalhousie qui n'a pas fait ce qu'il fallait pour se
concilier la confiance du clergé, puisqu'en Angleterre ce Dalhousie a voté contre
l'émancipation des catholiques. En 1829, songeant au refus du Gouvernement de
reconnaître plusieurs évêques dans le Bas-Canada, il écrit : « Si j'avais maintenant
une bulle de Rome qui érigeât Montréal en évêché et m'en nommât évêque, je me
moquerais du reste. » En 1837, il écrit à Mgr Signay de porter le titre d'archevêque
sans se soucier du Gouvernement. Mgr Lartigue au curé Consigny, 23 août 1824
(AAM, Registre des lettres, III : 71), RAPQ, 1941-42 : 446. Le même à Mgr Panet,
11 oct. 1827 (AAM, Registre cité, IV : 275), RAPQ, 1942-43 : 13. Le même à
Maguire et à Tabeau, 4 nov. 1829 (AAM, Registre cité, V : 166), RAPQ cité, 62.
Le même à Mgr Signay, 4 juil. 1837 (AAM, Registre cité, VIII : 402), RAPQ
1944^45 : 246.
98 MBT Bourget à Mgr Signay, 7 avril 1841; le même au cardinal Acton,
7 avril 1841 (AAM, Registre cité, II : 343,515),RAPQ, 1946-47 : 145; 1948-49 : 358s.

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évêques du Canada-Uni et des Maritimes demandent à Rome l'érection
d'une province ecclésiastique et, le 24 novembre 1844, le titulaire de
Québec affiche publiquement son titre d'archevêque qu'on lui avait
donné vingt-cinq ans plus tôt".
C'est lorsque cette Eglise du Canada français devient libre et
parce qu'elle devient libre, que tout change chez elle. Limitée au seul
clergé séculier par l'interdiction des autorités, elle n'avait reçu aucun
recrutement de l'extérieur 10° à part les quelques Français chassés
par la Révolution française, et elle n'avait rien ajouté à ses cadres,
bien au contraire puisque le Chapitre, les Jésuites et les Récollets
avaient disparu. Or, en 1837, sur l'initiative de Mgr Lartigue, s'amènent
les Frères des Ecoles chrétiennes, et c'est le début d'une abondante
immigration religieuse : les Oblats en 1841, les Jésuites et les Dames
du Sacré-Coeur en 1842,, les Soeurs du Bon Pasteur d'Angers en 1844,
les Clercs de Saint-Viateur, les Clercs de Sainte-Croix et les Soeurs de
Sainte-Croix en 1847; on fonde les Soeurs de la Providence et les
Soeurs des Saints Noms de Jésus et Marie en 1843, les Soeurs de la
Miséricorde en 1848. Et ce n'est là qu'un point de départ ! Dans le
domaine missionnaire, il ne s'était rien fait de grand ni de consistant
depuis la Huronie des Brébeuf et des Lalemant : grâce aux Oblats,
aux Jésuites et aux Soeurs Grises, nous assistons à un réveil missionnaire
de toute grandeur. La vie religieuse restée jusque-là dans le
rigorisme ancien et en vase clos, va se modifier profondément : M"
Mgr Bourget manifestera la même énergie à l'égard du procès-verbal qu'on
avait rédigé, lorsque l'évêque de Montréal était venu prêter serment devant le
Conseil exécutif; ce procès-verbal parlait d'appointement de Bourget comme évêque
de Montréal; il proteste auprès du gouverneur Thompson : je ne me suis pas
présenté devant le Conseil pour être appointé, mais pour être reconnu; et, invoquant
une dépêche de lord Glenelg (26 mai 1836) et lord Gosford, il demande que
l'on corrige le procès-verbal (Mgr Bourget au gouverneur Thompson, 7 mai 1840,
RAPQ, 1946-47 : 89s.). Le gouverneur fait alors rédiger une nouvelle minute,
attestant simplement que Mgr Bourget a prêté serment « as Bishop of the Roman
Catholic Church », et il déclare à l'évêque (ce qui marque que l'Eglise catholique
est enfin libre) : « Il n'est pas nécessaire que votre succession au siège episcopal
soit suspendue jusqu'à ce que le bon plaisir de la Couronne soit exprimé »
(Thompson à Mgr Bourget, 29 mai 1840, RAPQ cité : 96).

99 Lettre pastorale du 24 nov. 1844, dans Mandements, III : 465-467. Les
évêques qui demandent l'érection d'une province ecclésiastique sont les suivants :
Mgr Power, de Toronto; Mgr Gaulin, de Kingston; Mgr Bourget, de Montréal:
Mgr Signay et Mgr Turgeon, de Québec; Mgr Dollard, du Nouveau-Brunswick;
Mgr McDonald, de Charlottetown ; Msr Fraser, de Halifax.
100 C'est que, selon Bathurst, le Gouvernement craint que les étrangers
viennent prendre la place de Canadiens méritants; voici comment il s'en explique
dans une lettre à Mgr Plessis : « With respect however to the admission of Foreign
Ecclesiastics into the Province, I regret that I cannot consider it advisable to
accede to your wishes. I trust however that you will believe that my refusal in
no degree arises from any doubt as to the merits of the individuals who would
be selected by you for such an office, but from a general objection to the unnecessary
introduction of Foreigners into ecclesiastical offices in His Majesty's foreign
possessions, and also from a sincere desire to give due encouragement to those
who having been educated in the Province must naturally look to be preferred
in the Province to the offices of the Roman Catholic Church » (20 mai 1820, AAQ,
Gouvernement, II : 5; RAPQ, 1932-33 : 159s.).

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de Forbin-Janson inaugure en 1840 le mouvement des retraites paroissiales;
en même temps que Quertier et Chiniquy, les Oblats secouent
toute une province qui baigne dans l'intempérance; en 1841, on
organise (et c'est tout nouveau) la première retraite générale du clergé;
en 1843 et en 1844, on applique pour le jeûne et l'abstinence les lois
plus libérales du Haut-Canada et des Etats-Unis. L'érection d'une
vaste province ecclésiastique en 1844 et le premier concile provincial
en 1851 vont compléter l'aspect nouveau de cette Eglise et l'étalage
de ses forces. De faible, soumise et timide qu'elle était, sortant d'un
siècle d'immobilisme et de stagnation, l'Eglise canadienne retrouve
son prestige et son dynamisme du XVIIe siècle.
Ces 75 ans de servitude anglaise ont profondément marqué l'Eglise
canadienne du Québec. Elles l'ont d'abord canadianisée dans son épiscopat
et dans sa hiérarchie. Parce que l'Etat s'oppose à ce que l'Eglise
soit dirigée par des Européens 101, les Canadiens ont accès à l'épiscopat
dès 1770, ce qui ne s'était pas produit sous le régime français. Les
Jésuites, tous Français de France en 1760, sont éliminés complètement.
Le Séminaire de Québec, composé aussi en 1760 de Français de France,
va très volontiers se recruter chez les Canadiens; quant au Séminaire
de Montréal, composé de la même façon, il finira, malgré lui et avec
d'interminables grincements de dents, par accepter des sulpiciens canadiens.
Canadianisation qui n'est pas nécessairement un avantage :
l'Eglise renouvelle ses ressources à même un milieu fermé, sans pouvoir
profiter des idées d'un monde antre que le sien; il lui faudra l'immigration
ecclésiastique des années 1840 pour rafraîchir son visage.
De plus, c'est le régime anglais qui amène l'Eglise canadienne à
jouer dans la société un rôle qui n'est plus strictement un rôle spirituel.
Certes, sous le régime français, l'Eglise avait par suppléance assumé
l'hospitalisation et l'éducation, ses registres avaient aussi servi à l'état
civil, mais il était impensable sous le régime français que l'Eglise pût
intervenir dans les domaines politique et économique. Or, sous le
régime anglais, elle devient ouvertement le véhicule des ordres du
Gouvernement, elle fait le recensement des ressources humaines et matérielles,
elle maintient le peuple dans la fidélité à la Couronne et (parce
que l'Exécutif se confond jusqu'en 1848 avec la Couronne) dans la
fidélité à l'Exécutif; elle intervient pour appuyer un renouveau de
l'agriculture et elle préconise une politique de colonisation à l'avantage
des Canadiens français. Puissance spirituelle, l'Eglise devient une puissance
politique qui va bientôt soulever la grande crise de l'influence
indue.
Enfin, le gallicanisme traditionnel de cette Eglise canadienne se
transforme en un romanisme farouche. Gallicane depuis Mgr de Saint-
Vallier, l'Eglise canadienne se trouve en 1763 coupée des sources du
gallicanisme : le clergé séculier de France ne fournit plus de sujets

101 Msr Briand au nonce à Paris, 27 juil. 1770 (AAQ, Copies de lettres,
IV : 135), RAPQ, 1929-30 : 85. Voir aussi la lettre citée à la note précédente.

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et l'épiscopat français perd rapidement contact avec le diocèse de
Québec. Quand les relations reprennent entre le Canada et la France,
c'est grâce à des communautés qui dépendent directement de Rome et
pour qui le gallicanisme est hérésie. Par ailleurs, pendant ses soixantequinze
ans de servitude, l'Eglise canadienne est en butte à une puissance
anglicane, version extrémiste du gallicanisme français; menacée dans
son existence par les Anglicans, l'Eglise du Québec va se rapprocher
beaucoup plus étroitement de Rome. Bref, coupée du gallicanisme
français et en réaction contre l'anglicanisme, cette Eglise s'appuie
davantage sur Rome; et lors de son grand réveil, aiguillonnée par les
Jésuites et les Oblats et par leurs amis (dont Mgr Bourget), elle va
durcir encore son romanisme et s'engager délibérément, en même
temps que dans l'influence indue, dans une autre grande crise : celle
de l'ultramontanisme.
A regarder cette Eglise vers la fin du dix-neuvième siècle, riche
en effectifs, extrêmement vivante sur le plan religieux, puissante sur le
plan social, agressive sur le plan politique, on peut difficilement s'imaginer
que, depuis la conquête jusque vers 1840, elle avait été dépourvue
de tout, condamnée à la stagnation, humiliée sans cesse par le Gouvernement;
et l'on oublie qu'à certains moments elle a été sérieusement
menacée dans son existence même.

Marcel TRUDEL,
professeur titulaire d'histoire du Canada à l'Institut d'Histoire
de l'Université Laval


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