« La servitude de l’Église catholique
du Canada français sous le régime anglais
»
Marcel Trudel
professeur titulaire
d'histoire du Canada à l'Institut d'Histoire
de l'Université
Laval
Publié par Érudit :
erudit@umontreal.caArticle
Le 10 août 1764,
commence pour l'Eglise du Canada un régime de
servitude sous un
gouvernement protestant. Certes, elle avait déjà
connu la servitude
d'un Etat catholique : avant 1760, le roi de France
choisit et nomme
l'évêque de Québec, il nomme le doyen et le grand
chantre du Chapitre; du
tribunal ecclésiastique on peut en appeler au
Conseil Supérieur;
pour conserver un certain équilibre dans la société,
le roi veille à ce
que les communautés religieuses n'occupent pas plus
de place qu'il ne
faut, il limite avec rigueur le nombre des sujets qu'elles
peuvent admettre, il
s'oppose à ce que les Filles de la Congrégation
s'engagent par des
voeux, il interdit aux Frères Hospitaliers les voeux et
le costume
religieux; la paroisse, cellule de vie religieuse, n'appartient
plus seulement à
l'Eglise; la dîme, revenu personnel du curé, n'est pas
fixée par l'Eglise
seule; enfin, l'Etat sert de bras séculier. L'Eglise est
dans et sous l'Etat.
Toutefois, ce régime de servitude est une force et
une garantie, car
cette Eglise dépend d'un roi catholique dont le premier
devoir est justement
de soutenir et de répandre le catholicisme par le
monde. Or cette
force va se transformer en une impuissance dramatique
et cette garantie va
disparaître, lorsque les droits de la Couronne de
France sont cédés à
la Couronne d'Angleterre.
De plus, à cause de
ses effectifs, l'Eglise s'engage en 1764 dans la
plus inquiétante des
situations. C'est une Eglise sans évêque, le Chapitre
ne compte plus au
Canada que cinq membres, et ces chanoines,
communauté de
contemplatifs, vivent désormais dans la dispersion;
deux grands ordres,
les Jésuites et les Récollets, n'ont plus le droit de
se recruter; le sort
de la communauté sulpicienne, formée de Français
de France, demeure
pour longtemps en suspens; une communauté de
femmes, celle de
l'Hôpital Général de Québec, est au bord de la faillite;
une autre, celle de
l'Hôtel-Dieu de Montréal, songe à rentrer en France.
Par décès ou par
désertion, le clergé a perdu en cinq ans le quart de
ses effectifs; il ne
compte plus à la fin de 1764 que 137 prêtres : or il
n'y a point encore
d'évêque pour perpétuer le sacerdoce et l'on ne peut
plus compter sur le
clergé de France. Vers le même temps, l'Eglise
acadienne s'est éteinte.
C'est dans ce contexte alarmant que l'Eglise
catholique tombe non
seulement sous la coupe d'un roi protestant (qui à
son couronnement
jure de détruire le papisme), mais aussi (ce qu'on
n'avait pas vu sous
le régime français) sous la coupe personnelle des
gouverneurs.
Assurément, cette
Eglise catholique va recevoir l'appui de l'Etat
protestant.
Lorsqu'elle a besoin d'une force séculière pour mettre en
vigueur ses
volontés, l'Etat protestant la lui fournit. Les paroissiens
— 11 —
de la
Rivière-Ouelle, par exemple, s'adressent au gouverneur Haldimand
pour faire expulser
leur curé, mais Haldimand envoie la requête à
Mgr Briand avec le
commentaire suivant : « Je suis trop bien informé
de la bonne conduite
que le Clergé du Canada a tenue, envers le
Gouvernement, lors
de l'invasion des Rebelles, pour ne pas réprimer la
moindre insolence
qui pourrait leurs être affectés de la part des habitants;
et j'ai trop de
confiance dans votre zèle et pour le service du
Roi, et dans votre
justice envers son peuple, pour permettre à qui que
ce soit d'empiéter
sur vos droits et désobéir à vos ordres. » Un
instituteur
protestant, du nom de Mastha, vient s'installer chez les
Abénaquis de
Saint-François-du-Lac pour y faire du prosélytisme :
Mgr Signay en
appelle au gouverneur Gosford en 1835 pour mettre fin
à l'oeuvre de
Mastha; le gouverneur ne peut expulser le predicant, mais
il fait quand même
savoir à l'évêque qu'on entreprend des procédures
civiles pour
empêcher Mastha de construire une chapelle protestante2.
Autre appui du bras
séculier protestant dans l'affaire de la cathédrale
de Québec : détruite
par les bombes de 1759, cette cathédrale n'avait
été rouverte au
culte qu'en 1771, mais, poussés par leur curé, les
marguilliers
s'opposaient à ce que l'église paroissiale servît en même
temps de cathédrale
et Msr Briand avait dû se contenter de la chapelle
du Séminaire; il
fallut l'intervention du lieutenant-gouverneur Cramahé
pour mettre fin à
ces disputes ridicules et Mgr Briand pouvait écrire en
1774 : « J'entre par
la médiation de M. Cramahé, dans ma cathédrale,
reconnue pour telle
3. »
Cette Eglise reçoit
encore l'appui du gouvernement protestant sous
la forme d'un
salaire versé aux missionnaires catholiques qui sont chez
les sauvages4; et,
surtout, l'appui financier le plus constant et le plus
lourd apporté par le
gouvernement, a été la location du palais episcopal
et la pension
annuelle de l'évêque. Construit sous le régime français
mais jamais
complété, le palais episcopal avait servi en partie à l'administration
française; une fois
réparés les dommages de la guerre, le
Gouvernement anglais
l'occupe à partir du mois d'août 1777 et verse à
1
Le gouverneur Haldimand à Mgr Briand. 13 iuin 1780 (AAQ, Gouvernement,
1:
28), RAPQ, 1929-30 : 121s.
2
Mgr Signay au gouverneur Gosford, 10 oct. 1835 (AAQ, Registre des
lettres,
XVII : 142), RAPQ, 1937-38 : 52; le secrétaire Walcott à Mgr Signay,
20
nov. 1835 (AAQ, Gouvernement, II: 72), RAPQ cité: 65s.; Mgr Signay au
curé
Pierre Béland, 14 mars 1837 (AAQ, Registre cité, XVIII: 42), RAPQ,
1938-39:
191; le secrétaire Walcott à l'abbé C.-F. Cazeau, 3 août 1837 (AAQ,
Gouvernement,
II : 85), RAPQ cité : 204.
3
Mgr Briand à M. Mérineau, 10 mars 1774 (AAQ, Copies de lettres, TV :
479),
RAPQ, 1929-30 : 104.
4
On le constate en 1805, lorsque Mgr Denaut, obligé de faire des changements
chez
les missionnaires, espère que le Gouvernement continuera à verser les
40
livres sterling. Mgr Denaut au président Thomas Dunn, 3 oct. 1805 (AAQ,
Registre
cité, IV : 206), RAPQ, 1931-32 : 237; lettre à Mgr Denaut, 7 oct. 1805
(AAQ,
Gouvernement, I : 84), RAPQ cité. Ce salaire prend fin en 1837 : le
secrétaire
Walcott à Mgr Signay, 28 fév. 1837 (AAQ, Gouvernement, II : 83),
RAPQ,
1938-39 : 190.
— 12 —
l'évêque un loyer de
150 livres sterling par année : ce qui explique
pourquoi les députés
du Bas-Canada siégeront dans la chapelle épiscopale...
Porté ensuite à 500
livres, le loyer finit par atteindre 1,000 livres.
Or ce palais tombait
en ruines et ne suffisait plus aux besoins de la
Chambre d'Assemblée
: l'évêque accepta en 1832 de céder édifice et
terrain, moyennant
une rente annuelle et perpétuelle de 1,000 livres
(quelque 4,000
dollars), ce qui valait bien mieux qu'un loyer précaire
et incertain 5.
L'évêque recevait en
outre, pour lui-même, une pension annuelle.
Ce soutien financier
s'était manifesté pour la première fois en 1762,
quand Briand n'était
encore que grand-vicaire du Gouvernement de
Québec : ne faisant
partie d'aucun séminaire ni d'aucun ordre, pourvu
d'un maigre canonicat
et personnellement dénué, Briand avait accepté
du gouverneur Murray
un cadeau de 20 livres sterling (soit l'équivalent
de son canonicat) «
for his good behaviour 6 »* Evêque en 1766, il est
assuré d'une pension
annuelle de 200 livres sterling, ce que le Gouvernement
appelle un
«salaire»; il la touche jusqu'à sa mort en 1794, et
cette pension passe
alors à Mgr Hubert 7; en 1813, elle est portée de
200 livres sterling
à 1,000 livres sterling pour récompenser la loyauté
et la bonne conduite
de Msr Plessis8; Mgr Panet, qui lui succède, jouit
à son tour de cette
pension9, puis Mgr Signay 10 qui semble bien être
le dernier évêque à
se laisser pensionner par le Gouvernement.
Ce Gouvernement
protestant ira plus loin dans sa politique de
soutien, en nommant
Mgr Plessis au Conseil législatif; et il voudra faire
5
Le gouverneur Carleton et le lieutenant-gouverneur Cramahé à Mgr Briand,
1er
mai 1778 (AAQ, Gouvernement, I : 25), RAPQ, 1929-30 : 118; le Secrétaire
d'Etat
Bathurst au gouverneur Dalhousie, 31 août 1826 (AAQ, Gouvernement, II :
32
et 34), RAPQ, 1933-34 : 314; Mgr Panet à Mgr Lartigue, 18 fév. 1830 (AAQ,
Registre
des lettres, XIV: 180), RAPQ, 1934-35: 379; Mgr Panet au greffier
Glackmeyer,
2 mars 1831 (AAQ, Registre cité, XIV : 355), RAPQ, 1935-36 : 164;
Mgr
Panet à Mgr Lartigue, 21 avril 1831 (AAQ, Registre cité, XIV: 373), RAPQ
cité
: 169s.; mémoire de Mgr Signay à la Cour de Rome, 9 nov. 1832 (AAQ,
Registre
L: 38), RAPQ, 1936-37: 137. Voir aussi TÊTU, Histoire du palais
episcopal
de Québec, 89ss.
6
Sur cette question, voir Marcel TRUDEL, L'Eglise canadienne sous le
régime
militaire, 1759-1764, I : 229-231. Les 20 livres sterling équivaudraient à
quelque
$480 d'aujourd'hui.
7
Mgr Hubert à Mgr Denaut, 27 oct. 1794 (AAQ, Registre des lettres, II :
163),
RAPQ, 1930-31 : 309.
8
Le Secrétaire d'Etat Bathurst au gouverneur Prévost, 2 juil. 1813 (AAQ,
Registre
H : 64), RAPQ, 1932-33 : 95; le secrétaire Brenton à Mgr Plessis,
4
oct. 1813 (AAQ, Gouvernement, I : 112), RAPQ cité : 95.
9
Mgr Panet au gouverneur Dalhousie, 28 oct. 1826 (AAQ, Registre des
lettres,
XIII : 37), RAPQ, 1933-34 : 313.
10
Mémoire de Mgr Signay à la Cour de Rome, 9 nov. 1832 (AAQ, Registre
L
: 38), RAPQ, 1936-37 : 137; Msr Signay au secrétaire Craig, 8 nov. 1833 (AAQ,
Registre
des lettres, XVI : 4), RAPQ cité : 225. En 1834, Mgr Signay donne
400
livres de cette pension à son coadjuteur Turgeon qui vient d'être sacré :
Mgr
Signay à Mgr Turgeon, 4 juin 1834 (AAQ, Evêques de Québec, VII : 15),
RAPQ,
1937-38 : 26.
— 13 —
davantage en
proposant à Mgr Signay en 1832 d'accepter un siège au
Conseil exécutif,
c'est-à-dire devenir ministre d'Etat11.
C'était, en tout
cela, apporter à l'Eglise une bien dangereuse sécurité.
En permettant et
surtout en demandant à l'Etat protestant de
servir de bras
séculier, on l'amenait à intervenir dans la vie personnelle
de l'Eglise. Certes,
le loyer qu'on acceptait pour le palais episcopal
ne pouvait guère
établir qu'une relation strictement profane, mais il
n'en était pas de
même de la pension que touchait l'évêque : Mgr Desgly
en avait souhaité la
continuation13; Mgr Hubert était heureux d'enl
profiter et il
écrivait, tout en badinant, à son coadjuteur : « Avec cela,
je suis riche et
j'espère que vous le serez aussi à votre tour 13 »;
lorsqu'elle est
augmentée au bénéfice de Mgr Plessis, le coadjuteur
Panet en félicite
son évêque14, et quand il en hérite, il marque son
contentement au
gouverneur Dalhousie15. Il arrive parfois qu'on
s'inquiète; à propos
de cette pension qui passe soudain de 200 livres à
1,000 livres, le
coadjuteur Panet écrit à Mgr Plessis : « Il est bon que
cette gratification
ne lui [à l'évêque] soit venue qu'après que le clergé
a montré sa loyauté.
Le peuple aurait pu croire qu'elle avait influé sur
son zèle. Je
souhaite que ce ne soit pas pour lui par la suite une
occasion de juger
que les évêques sont trop dépendants 16. » Mais que
la gratification
vienne après ou avant, elle n'en reste pas moins une
façon de lier
l'évêque aux intérêts du Gouvernement, et c'est, par exemple,
le résultat que
recherche le lieutenant-gouverneur Milnes en 1800 :
Mgr Denaut. « animé
des meilleurs sentiments à l'égard du gouvernement
», se plaint que ses
revenus ne soient pas conformes à sa situation;
et Milnes trouve
l'occasion heureuse pour la politique britannique :
« C'est une
occasion, écrit-il, d'attacher plus étroitement l'évêque
canadien au gouvernement,
s'il plaît à Sa Majesté d'augmenter son
traitement de
manière à améliorer sa situation 17. »
Quant à l'honneur de
faire partie des conseils de Sa Majesté, il
était tout aussi
périlleux pour l'évêque. Lorsque le gouverneur Aylmer
offre, en 1832, à
Msr Signay d'entrer dans le Conseil exécutif, c'est un
geste qu'on vient de
faire à l'égard de Papineau et de Neilson pour
revaloriser le
Conseil exécutif aux yeux de la population; Papineau et
Neilson venaient de
refuser, mais il y eut hésitation parmi l'épiscopat :
le coadjuteur
Turgeon servit d'intermédiaire entre l'évêque et le gouverneur;
et alors que Mgr
Lartigue optait pour un refus, Mgr Provencher
se réjouissait de la
promotion. Finalement, Mgr Signay porta au
1
1 Voir plus bas, note 18.
12
Mgr Desgly à l'abbé Hussey, 2 déc. 1784 (AAQ, Evêques de Québec, II :
3),
RAPQ, 1930-31 : 186.
13
Mgr Hubert à Mgr Denaut, 27 oct. 1794 (AAQ, Registre des lettres, II :
163)
RAPQ 1930-31 : 309.
'
l é Mg'r Panet à Mgr* Plessis, 27 oct. 1813 (AAQ, Evêques de Québec, IV:
49),
RAPQ, 1933-34: 241.
15
Voir plus haut, note 9.
16
Mgr Panet à Mgr Plessis, lettre citée.
1
7 Le lieutenant-gouverneur Milnes au duc de Portland, 1er nov. 1800, Doc.
constitutionnels,
1791-1818 : 255.
— 14 —
gouverneur une
réponse négative; et il écrit à Mgr Provencher : « Vous
vous réjouissez de
me voir dans le Conseil exécutif, et moi, je suis
content de n'y être
pas entré, par des circonstances que j'attribue à la
divine Providence
qui juge mieux de ce qui est avantageux au bien
de la religion 18. »
L'acceptation de Msr Signay eût signifié l'engagement
total de l'Eglise
dans la politique du Gouvernement ! Les évêques
ne devinrent donc
pas ministres d'Etat, mais au moins un, Mgr Plessis,
avait accepté d'être
membre du Conseil législatif. Rome s'en inquiète
et demande des
explications à Mgr Plessis ; celui-ci répond qu'il a accepté
pour empêcher les
conseillers protestants de se mêler des affaires de
l'Eglise et pour
promouvoir les intérêts ecclésiastiques; la réponse de
M8' Plessis fut
étudiée par la Congrégation de l'Inquisition et Rome
permit à Msr Plessis
de garder son poste 19. Cet évêque pouvait être
sincère dans ses
objectifs, mais à cette époque de conflits entre une
Chambre d'Assemblée
élue par le peuple et un Conseil législatif qui
défendait âprement
les privilèges de la Couronne, MgP Plessis risquait
fort de passer pour
l'homme du Gouvernement, et c'est assez ce qui lui
est arrivé; Mgr
Lartigue écrit que, pour avoir fait partie du Conseil,
Mgr Plessis a
beaucoup baissé dans l'estime de ses ouailles : « malgré
son caractère connu
il passait chez beaucoup de Canadiens et plusieurs
du premier rang,
pour trop enclin à suivre toutes les mesures du
Gouvernement»; et
Mgr Lartigue ajoute: «Je crois d'ailleurs que la
religion perd plus
qu'elle ne gagne dans ces honneurs civils rendus à
l'Episcopat20. » A
mesure que l'évêque assurait son rang social, il
augmentait sa
dépendance à l'égard du pouvoir civil.
Offre d'un siège
dans le Conseil exécutif, attribution d'une place
au Conseil
législatif, loyer de 1,000 livres et pension de 1,000 livres
versés à l'évêque,
paiement d'un salaire aux missionnaires des sauvages,
appui du bras
séculier : tout cela engage l'Eglise dans la servitude et,
à cette Eglise qu'il
protège avec intérêt, l'Etat ne ménage pas ses
pressions de toutes
sortes.
Le Gouvernement
intervient auprès de l'évêque pour que les curés
fassent le
recensement des grains21 et le dénombrement de la popula-
18
Mgr Lartigue à Mgr Signay, 22 déc. 1831 (AAM, Registre des lettres,
VI
: 178), RAPQ, 1942-43 : 127s.; Mgr Signay à lord Aylmer, 17 déc. 1832 (AAQ,
Gouvernement,
II : 61), RAPQ, 1936-37 : 146; le même à Mgr Provencher,
11
avril 1833 (AAQ, Registre des lettres, XV : 367), RAPQ, 1936-37 : 182.
19
Le cardinal Somaglia à Mgr Plessis, 1er oct. 1825 (AAQ, Correspond,
manuscrite
de Rome, III : 108 et 224), RAPQ, 1932-33 : 238.
20
Me' Lartigue à Mgr Signay, lettre citée.
21
II y eut recensement des grains par les curés à la demande du Gouvernement,
en
1800, en 1805, deux fois en 1812, puis en 1815 et en 1816 : Ryland à
Mgr
Denaut, 11 juin 1800 (AAQ, Gouvernement, I: 81), RAPQ, 1931-32: 169;
circulaire
de J.-O. Plessis, 18 juin 1800, dans Mandements, II : 520; circulaire
d'Ant.
Tabeau, 8 avril 1805, dans Mandements, II : 541; le secrétaire Brenton à
Mgr
Plessis, 7 mai 1812 (AAQ, Gouvernement, I : 101), RAPQ, 1932-33: 84;
circulaire
de Mgr Plessis, 9 mai 1812, dans Mandements, III : 79; circulaire de
Deschenaux,
20 juil. 1812, ibid., Ill : 91; circulaire de Mgr Plessis, 10 déc. 1815,
et
Mémoire de Plessis, 15 fév. 1816, ibid., Ill : 127-132 ; circulaire du même,
22
oct. 1816, ibid., Ill : 134s.
— 15 —
tion, ce que le
clergé n'avait jamais fait sous le régime français.
Mer Hubert admet
volontiers que c'est là une besogne onéreuse, mais
qu'il ne pouvait la
refuser au gouverneur et que les Canadiens en
retireraient un
avantage sérieux23; et il s'en excuse auprès de ses
archiprêtres : «
Comme je n'aime pas à charger le clergé d'un ouvrage
qui n'est pas
précisément le sien, je n'ai consenti à donner la lettre
circulaire
ci-jointe, qu'après avoir témoigné la répugnance que j'y avais,
depuis trois ans, en
plusieurs occasions différentes 24. »
Le gouverneur ne se
gêne pas peur exiger mandements et lettres
circulaires. Sous le
régime militaire, Gage avait en 1762 manié les
ciseaux de la
censure dans un mandement ecclésiastique25; sous le
régime anglais, le
gouverneur intervient d'une façon tout aussi encombrante.
Pour inviter les
Canadiens à repousser l'envahisseur, Msr Briand
avait préparé une
lettre circulaire, mais Carleton (qu'il appelle « le plus
aimable des hommes,
un homme charmand » ) exige plutôt un mandement,
et Mgr Briand lui
donne satisfaction 26. Ou bien, par ses circulaires,
l'évêque se fait en
quelque sorte le publiciste, le crieur public
du Gouvernement; ce
qui ne se faisait pas sous le régime français, la
diffusion des édits
et ordonnances étant assurée par le capitaine de
milice27. En 1768,
l'évêque publie une circulaire pour faire connaître
les intentions du
Gouvernement au sujet des cabarets; en 1772, c'est
pour apprendre aux
paroissiens qu'il est défendu de donner retraite aux
soldats déserteurs;
en 1775, pour annoncer le rétablissement des milices;
en 1781, pour
répandre une ordonnance sur les blés: en 17905 pour
inviter les curés à
collaborer à l'organisation de la milice; en 1812,
pour que les
paroissiens fassent les récoltes à la place des miliciens
absents28, et dans
une autre circulaire de 1812, Mgr Plessis transmet
aux curés la
satisfaction du gouverneur pour l'aide qu'ils ont apportée
« tant dans la levée
des milices, que dans le maintien de la subordination,
qui règne parmi
elles29 ». Plusieurs fois, l'évêque se fait tout
2
2 Dénombrements en 1789, 1790, 1822 (deux fois) et en 1825 : circulaire
de
Mgr Hubert, 9 déc. 1789, dans Mandements, II : 396; lettre du même,
22
déc. 1789, ibid., II : 397; circulaire du même, 25 mars 1790, ibid., II: 398;
lettre
de Cochrane à Mer Plessis, 18 janv. 1822 (AAQ, Gouvernement, II : 15),
RAPQ,
1932-33 : 182: circulaire de Mgr Plessis, 1er déc. 1822, dans Mandements,
III
: Ï67; circulaire du même, 25 mai 1825, ibid., Ill : 187.
23
Mgr Hubert au curé Jean-Pierre Mennard, 22 déc. 1787 (AAQ, Registre
des
lettres, I : 112), RAPQ, 1930-31 : 224.
2
4 Le même aux archiprêtres, 22 déc. 1789, dans Mandements, II : 397.
2
5 TRUDEL, UEglise canadienne sous le régime militaire, I : 201.
2
6 Mgr Briand au grand-vicaire Saint-Onge, mai 1775 (AAQ, Copies de
lettres,
IV: 559), RAPQ, 1929-30: 110; projet^ de circulaire, 22 mai 1775, AAQ,
Evêques
de Québec, I : 179; mandement du même jour, Mandements, II : 264s.
2
7 Depuis 1717, les curés n'avaient plus, en principe, qu'à lire tous les trois
mois
un édit de 1556 contre les femmes qui cachaient leur grossesse et laissaient
périr
leurs enfants {Edits, ordonnances royaux, I : 375s.).
2
8 Circulaire de Mgr Briand, 15 oct. 1768; circulaire du même, 11 mai 1772:
circulaire
de Montgolfier, 13 juin 1775; circulaire de Mgr Briand, 17 janv. 1781;
circulaire
de Mgr Hubert, 7 août 1790; circulaire de Deschenaux, 24 août 1812 :
Mandements,
II : 213, 244, 265s., 302s., 432; III : 92.
2»
Circulaire de Mgr Plessis, 6 oct. 1812, ibid., Ill : 93.
— 16 —
simplement le
distributeur des missives gouvernementales : en 1790,
Msr Hubert transmet
à ses curés le texte des ordres concernant la milice;
en 1798, le
coadjuteur Plessis est invité à distribuer des brochures du
Gouvernement parmi
le peuple et à transmettre aux curés une proclamation
civile d'action de
grâces; en 1805, à la demande du lieutenantgouverneur,
Mgr Denaut envoie à
ses curés deux lois à afficher ; en 1807,
l'administrateur
Dunn veut publier un ordre sur la milice : il en fait
distribuer le texte
par Févêque; en 1813, Mgr Plessis reçoit cent exemplaires
d'une proclamation
qu'il enverra à son clergé; en 1832, profitant
de l'expédition d'un
mandement sur le jeûne, Mgr Panet y joint une
proclamation du
gouverneur; en 1838 (et ce serait la dernière fois que
l'évêque sert ainsi
de véhicule), Mgr Signay se soumet au désir de
Durham et envoie aux
curés des exemplaires de la célèbre proclamation
de 1838 pour lui
procurer « la plus grande publicité possible parmi
vos paroissiens 30
».
Mgr Plessis, pour sa
part, semble n'avoir jamais protesté, se
contentant tout au
plus en 1807 d'inviter les curés à faire lecture d'une
ordonnance civile
hors du service divin et de l'église31; en 1810, à
l'occasion de
l'affaire du Canadien, il va même jusqu'à distribuer à ses
curés cette
proclamation de Craig qui tendait, écrit l'évêque, « à détruire
les impressions
dangereuses qu'aurait pu faire sur les esprits des sujets
de cette province,
la circulation de certains écrits propres à créer de la
défiance, de
l'éloignement et du mépris du Pouvoir Exécutif de Sa
Majesté »; et Mgr
Plessis invita ses curés à augmenter chez leurs paroissiens
la confiance dans le
Gouvernement 32. En cette crise politique où
la liberté venait de
souffrir durement, Mgr Plessis et son clergé eurent
l'air, aux yeux du
peuple, de se ranger ouvertement dans le parti de
Craig 33. Quant à
Mgr Lartigue, regrettant que Mgr Panet ait envoyé
avec son mandement
sur le jeûne une proclamation « anti-française du
gouverneur », il lui
écrit qu'on a été très froissé en certains milieux :
« J'apprends que des
curés ont été si mécontents de recevoir la proclamation
du gouverneur en
même temps et par la même voie que votre
mandement, qu'ils
ont comparé cette époque à celle où le général Craig
3
0 Circulaire de Mgr Hubert, 7 août 1790; circulaire de Mgr Denaut,
19
avril 1805; circulaire de Mgr Plessis, 17 sept. 1807 et 21 mars 1810 :
Mandements,
II
: 432s., 542; III : 33s., 43-50. Le secrétaire Gale à Mgr Plessis, 12 oct. 1798
(AAQ,
Gouvernement, I : 69), RAPQ, 1932-33 : 4s.; le même au même, 26 déc. 1798
(ibid.,
I : 75), RAPQ cité : 5; Ryland à Mgr Plessis, 18 sept. 1807 (ibid., I : 86),
RAPQ
cité : 44; le secrétaire Brenton à Msr Plessis, 19 oct. 1813 (ibid., 1: 113),
RAPQ
cité : 95; Mgr Lartigue à Mgr Panet, 5 mai 1832 (AAM, Reg. des lettres,
VI
: 293), RAPQ, 1942-43 : 144; le même à Mgr Signay, 31 janv. 1833 (ibid.,
VII
: 52), RAPQ, 1943-44 : 215. Dans une lettre, Mgr Lartigue écrit que certains
curés
de Montréal ont lu en chaire, à même la Gazette, le mandement episcopal
et
la proclamation du gouverneur : c Voyez le bel effet !» (le même au même,
11
fév. 1833, ibid., VII : 65; RAPQ cité : 217).
3
1 Circulaire de Mgr Plessis, 17 sept. 1807, Mandements, III : 33s.
3
2 Circulaire du même, 21 mars 1810, ibid., Ill : 43-50.
3
3 Le curé Boucher à Mgr Plessis, 28 mars 1810 (AAQ, Gouvernement,
VI
: 52), RAPQ, 1932-33 : 66. Sur la lecture en chaire ou sur le perron de
l'église,
voir diverses lettres de curés à Mgr Plessis en mars et avril 1810 (AAQ,
Gouvernement,
VI : 53-70), RAPQ, 1932-33 : 66-69.
— 17 —
envoyait les siennes
par le canal de l'évêque, et j'en connais qui ont
laissé de côté cette
proclamation, sans la remettre à personne, parce
qu'ils ne se
regardent pas avec raison, comme officiers publics du
gouvernement
civil34. » On comprend alors que, devant une hiérarchie
ecclésiastique qui
consent à servir de courrier royal, un gouverneur ait
pris sur lui
d'annoncer lui-même jeûne et prières publiques; à Mgr Panet
qui ne semble pas
s'inquiéter, Mgr Lartigue écrit qu'il est contraire à la
discipline de
l'Eglise d'annoncer des jeûnes dans le temps pascal, que
c'est là chez le
gouverneur un acte de suprématie inconvenant pour les
catholiques et dont
il faut le guérir35.
L'Eglise ressent
encore cette servitude dans le recrutement de ses
membres. En 1763, le
roi avait décidé de laisser s'éteindre les Jésuites
et les Récollets. Le
sort qu'on impose aux Jésuites peut, dans le
contexte de
l'époque, se comprendre facilement, les Jésuites étant déjà
persécutés ou
pourchassés par des pays catholiques; mais pourquoi s'en
prendre aux
Récollets ? Il semble bien que l'Angleterre ait voulu par
là réduire tout le
clergé à un état séculier, plus immédiatement soumis
à l'évêque et plus
facilement contrôlable. Le Gouvernement veille aussi
à bloquer l'entrée
de toute nouvelle communauté religieuse. A une
époque où l'Eglise
du Canada voit diminuer ses effectifs d'une façon
alarmante, voici que
s'amène à Québec en 1801 un Père Zocchi, de la
Société de la Foi de
Jésus : il espère s'établir avec les siens dans le
Bas-Canada. Mgr
Denaut remercie le ciel de ce secours; or le Père
Zocchi passe en vain
l'hiver à Québec : le lieutenant-gouverneur refuse
de les admettre dans
la province; l'évêque espère qu'ils pourront au
moins s'établir en
Nouvelle-Ecosse, qui fait alors partie du diocèse de
Québec, mais le Père
Zocchi en est réduit à passer aux Etats-Unis avec
ses religieux36. En
1828, Mgr Lartigue projette de faire venir des
Frères de la
Doctrine chrétienne, mais l'évêque Panet lui répond que
cela ne peut se
faire; pourquoi? «Le Gouvernement s'opposeroit à
l'introduction de
ces personnes et ne les souffriroit pas dans la Province,
sous prétexte que ce
sont des étrangers [...] on les considéreroit comme
des Religieux et
c'est assez pour leur fermer l'entrée de la Province 37. »
Et l'Eglise
canadienne continue de vivoter sans pouvoir accepter de
secours extérieur.
Le pouvoir civil
intervient aussi dans les cures. Sous le régime
français, l'Eglise
l'avait emporté sur l'Etat en assurant l'amovibilité des
cures et le
gouverneur n'avait aucune autorité sur elles : l'évêque d'avant
34
Mgr Lartigue à Mgr Panet, 5 mai 1832, et à Mgr Signay, 31 janv. 1833
(AAM,
Registre des lettres, VI : 293; VII : 52), RAPQ, 1942-43 : 144; 1943-44 : 215.
35
Le même au même, 16 avril 1832 (ibid., VI : 270), RAPQ, 1942-43 : 141;
le
même au même, 24 avril 1832 (ibid., VI : 285), RAPQ cité : 143.
36
Mgr Denaut à Mgr Plessis, 9 déc. 1801 (AAQ, Reg. des lettres, IV : 90),
RAPQ,
1931-32 : 187; le même au même, 21 avril 1802 (ibid., IV : 96), RAPQ
cité
: 190; le même au même, 14 juin 1802 (ibid., IV : 100), RAPQ cité : 192;
le
même au vic.-gén. Burke, 14 juin 1802 (ibid., IV: 101), RAPQ cité : 192; le
même
au même, 10 sept. 1802 (ibid., IV : 106), RAPQ cité : 194.
37
Mgr Panet à Mgr Lartigue, 27 déc. 1828 (AAQ, Reg. des lettres, XIII :
504),
RAPQ, 1933-34 : 421.
— 18 —
1760 demeure
parfaitement maître en ce domaine. C'est Murray qui
le premier
s'arrogea, sous le régime militaire, le droit d'intervenir dans
la nomination des
curés, et cela, écrit-il, « en vue de tenir ces curés
dans un état de
sujétion nécessaire38»; un article des instructions
royales vint en 1775
préciser que « personne ne pourra recevoir les
ordres sacrés et
n'aura charge d'âmes sans avoir au préalable obtenu »
la permission du
gouverneur39. Comme bien d'autres articles, celui-ci
pouvait demeurer
lettre morte sans que le gouverneur en soit blâmé,
mais il était
toujours à craindre qu'un gouverneur applique rigoureusement
ces instructions ou
se fonde sur elles pour exercer quelque gênante
pression. A cause
d'une pression de ce genre ou tout simplement par
faiblesse devant le
pouvoir politique, Msr Denaut aura l'habitude, de
1797 à 1805
(c'est-à-dire pendant tout son épiscopat), d'envoyer à
l'autorité anglaise,
pour approbation, un rapport annuel de ses nominations
aux cures : quand il
se juge en retard, il s'en excuse; si un mois
ou deux après la
présentation de son rapport, il survient un nouveau
changement
d'obédience, Mgr Denaut rédige un nouveau rapport à
l'adresse du
gouverneur. On ne sent chez lui aucune réticence, bien au
contraire : « Je le
fais aujourd'hui [...] avec un nouveau plaisir »,
écrit-il en 1799;
ou, en 1802 : « Ce rapport, que j'aime à lui faire tous
les ans, me procure
le précieux avantage de lui présenter mes respectueux
hommages » ; il
insiste sur sa fidélité à remplir ce devoir : « Depuis
que je suis évêque
en titre, je n'ai pas manqué de donner aux gouverneurs
connaissance des
arrangements que les circonstances amènent tous
les ans, dans mon
diocèse 40. »
Il ne faut pas alors
s'étonner que les autorités anglaises en profitent
pour pousser de
l'avant certains candidats ou pour en éloigner d'autres.
En 1774,
Pierre-Antoine Porlier, curé de Sainte-Anne-de-la-Pocatière,
souhaite obtenir la
cure de Québec et l'évêque est prêt à donner son
consentement, mais
le lieutenant-gouverneur Cramahé, qui vient de faire
entrer Msr Briand
dans la cathédrale, s'y oppose : Porlier n'aura pas
sa promotion 41. En
1797, le gouverneur Prescott désire qu'on offre à
Pierre-Simon Renauld
la cure de Saint-Laurent (près Montréal) :
Mgr Denaut se rend à
cette demande42. En 1798, le prince Edouard,
3
8 Voir là-dessus TRUDEL, op. cit., I : 216-221.
3
9 Art. 21 des instructions à Carleton, 3 janv. 1775, dans Doc.
constitutionnels,
1759-1791,
II : 587.
40
]y[g' Denaut au gouv. Prescott, 25 sept. 1797; le même au même,
23
oct. 1797; le secrétaire Ryland à Mgr Denaut, 14 nov. 1797; Msr Denaut à
M81"
Plessis, 25 oct. 1798; le même au gouv. Prescott, 25 oct. 1798; le même au
même,
2 déc. 1798; Prescott à Mgr Denaut, 13 déc. 1798; Mgr Denaut au lieut.-
gouverneur
Milnes, 30 sept. 1799; le même au même, 18 déc. 1800; le même au
même,
9 déc. 1801; le même au même, 22 nov. 1802; le même à Thomas Dunn,
3
oct. 1805; le même à M8r Plessis, 3 oct. 1805 (AAQ, Reg. des lettres, II : 342,
348;
IV : 8, 9, 13, 31, 74, 90, 127, 206, 207; Gouvernement, I : 66, 73), RAPQ,
1931-32
: 138, 140, 141, 153, 155, 161, 179, 186, 200, 237.
41
Mgr Briand à Porlier, 14 mai 1774 (AAQ, Copies de lettres, IV : 503),
RAPQ,
1929-30 : 105.
42
Mgr Denaut au curé Renauld, 5 sept. 1797 (AAQ, Reg. des lettres, II :
340),
RAPQ, 1931-32 : 135.
— 19 —
qui avait séjourné à
Québec de 1791 à 1793, demande par lettre à
Msr Denaut que
Gilmer, prêtre irlandais émigré de France, soit placé
de manière
avantageuse : Mgr Denaut le nomme grand-vicaire en
Nouvelle-Ecosse;
mais voici que ce Gilmer se présente dans le Bas-
Canada : comme le
prince avait parlé d'un bon poste, l'évêque destine
Gilmer à la cure de
Saint-Nicolas et s'excuse auprès du prince de ne
pouvoir faire mieux;
Gilmer refuse : l'évêque coadjuteur est convoqué
chez le gouverneur
et celui-ci ne donne raison à l'évêque que lorsque
Gilmer a
suffisamment démontré qu'il est intraitable43. Ou l'autorité
civile intervient
pour faire déplacer un curé : en 1800, le curé de
Terrebonne,
Beaumont, se mêle de l'élection du député de Bouc; Ryland
écrit à l'évêque
que, de l'avis du lieutenant-gouverneur Milnes, il
vaudrait mieux
envoyer Beaumont dans une autre paroisse : Mgr Denaut
retire de Terrebonne
le curé Beaumont et, lorsqu'il l'envoie l'année
suivante à
Verchères, il a soin d'en avertir tout de suite le lieutenantgouverneur
44.
Interventions peu
importantes en elles-mêmes, mais elles illustrent
bien la « suprématie
» que s'arroge l'autorité civile anglaise. Ces
interventions ne
sont pas des accidents, elles sont les étapes d'une
politique bien
définie, dont le lieutenant-gouverneur Milnes a été le
principal artisan.
Cette politique, comme la décrira Mgr Plessis, « seroit
de faire nommer par
le Gouvernement tous les curés du Diocèse et de
leur faire donner
des commissions Royales pour assurer leurs droits
temporels en même
temps que l'évêque leur donneroit la jurisdiction
spirituelle [...].
Combien de fois ne pourra-t-il pas arriver que le
Gouverneur voudroit
commissionner un prêtre que l'évêque ne jugeroit
pas Digne de la
place dont il s'agiroit ? D'ailleurs, ce point n'est pas
le seul sur lequel
ils entendent empietter. C'est courir à grands pas à
la dégradations du
Clergé et à la destruction de la Religion catholique
en ce pays. » En
retour du droit de nommer aux cures, Milnes offrait
à l'évêque un
établissement solide; mais, se demandait Msr Denaut, si
le gouverneur
présente aux cures et si celles-ci deviennent inamovibles,
que restera-t-il à
l'évêque ? « J'aimerais donc mieux mon état précaire,
tel qu'il est, que
cet établissement solide, tel qu'il m'est offert. »
Mgr Denaut se laisse
quand même prendre au jeu : sous prétexte de lui
procurer un état
temporel plus avantageux, Milnes l'amène à demander,
dans une requête au
roi, cette « existence civile tant pour lui que pour
les curés du Diocèse
» avec les « prérogatives, droits et émoluments
temporels » que le
roi voudra y attacher; cette requête, selon Mgr Plessis,
43
Le prince Edouard à Msr Denaut, 10 août 1798; Mgr Denaut à
Mgr
Plessis, 17 sept. 1798; le même à Gilmer, 24 sept. 1798; le même au prince
Edouard,
même jour; le même à Gilmer, 8 oct. 1798; le prince Edouard à
Mgr
Plessis, 15 oct. 1798; le secrétaire Gale à Mgr Plessis, 18 oct. 1798; le
même
au même, 20 oct. 1798 (AAQ, Gouvernement, I : 68, 70, 71, 72; Reg. des
lettres,
II : 363, 366, 367, 370), RAPQ, 1931-32 : 147, 149, 150; 1932-33 : 5.
44
Ryland à Mgr Denaut, 3 sept. 180O; Mgr Denaut au curé Beaumont,
26
sept. 1800; Mgr Denaut à Milnes, 18 déc. 1800; le même à Beaumont,
29
août 1801; le même à Milnes, 10 sept. 1801 (AAQ, Gouvernement, I : 83;
Reg.
des lettres, IV : 65, 74, 81, 84), RAPQ, 1931-32 : 171, 174, 179, 183, 184.
— 20 —
pouvait donner
occasion au gouverneur « de se faire autoriser à nommer
aux cures », et
c'est pourquoi Mgr Denaut exprimera son repentir de
l'avoir signée45.
Avec moins
d'habileté et de charme que Milnes, le gouverneur
Craig voudra en 1811
pousser les choses jusqu'au bout. Au cours de
trois célèbres
conversations entre lui et Mgr Plessis, il tente d'allécher
l'évêque par un «
établissement solide » aux conditions que Milnes avait
proposées à Mgr
Denaut; il use de menaces à peine voilées, mais
Mgr Plessis, si
faible vis-à-vis le Gouvernement sur d'autres points, lui
oppose le refus le
plus ferme46.
Même s'il intervient
de temps à autre dans la nomination aux
cures et s'il soumet
les curés à diverses corvées civiles, le Gouvernement
devra en ce domaine
laisser toute juridiction à l'évêque; il a plus de
succès dans le
domaine episcopal. Cela se produit dès le début du
régime anglais.
Réuni dans le plus grand secret, ce 15 septembre 1763,
le Chapitre de
Québec élit pour évêque le sulpicien Montgolfier, supérieur
d'une riche
communauté, homme imposant qui pouvait se passer
de tout secours de
l'Etat; peu après, Murray est nommé gouverneur
général, il a son
propre candidat : le grand-vicaire Briand, homme
timide et sans
ressources, attaché à aucune communauté et qui avait
déjà reçu l'aide
financière de Murray. A cause de l'opposition officielle
qu'on lui fait,
Montgolfier se désiste; les chanoines procèdent à une
autre élection le 11
septembre 1764 : ils élisent Briand 47. Le régime
anglais, vieux d'à
peine un mois, commençait mal pour l'Eglise canadienne
dont l'évêque était
l'élu du gouverneur anglais et protestant.
Carleton et
plusieurs autres gouverneurs joueront le même rôle
que Murray; afin
d'assurer la survivance de l'épiscopat, Mgr Briand
avait obtenu de Rome
qu'il désignerait lui-même son coadjuteur et
successeur. Arrivé
au pays en 1766, il songe tout de suite à se donner
un coadjuteur et il
en demande la permission au lieutenant-gouverneur
Carleton 48 ;
d'ailleurs, à cause de sa timidité et des problèmes que lui
causaient certains
de ses prêtres, il parlait déjà, à cinquante-deux ans
seulement, de se
retirer. Carleton apprend bientôt que les curés de
Montréal délibèrent
sur le choix d'un candidat, il s'inquiète et se rend
chez l'évêque, mais
Msr Briand le rassure 49. Carleton laisse traîner
45
Mgr Denaut à Mer Plessis, 25 avril 1805; le même au même, 4 juin 1805;
Mgr
Plessis au recteur Bourret, 25 mai 1806; le même au même, 4 juil. 1806
(AAQ,
Reg. des lettres, IV : 195, 197, 221, 230), RAPQ, 1931-32 : 231, 232s.;
1932-33
: 25, 28; requête de Mgr Denaut, 18 juil. 1805, dans Mandements, II :
547s.;
voir aussi les conversations de Mgr Plessis avec le gouv. Craig, ibid., Ill :
64.
Sur
cette politique de Milnes, il faut lire l'article de Jean-Pierre WALLOT, Sewell
et
son projet d'asservir le clergé canadien, dans RHAF,XVI, 4 (mars 1963) :
549-566.
4
6 Conversations des 4 et 27 mai et 1er juin 1811, dans Mandements, III :
59-72.
4
7 Sur ce problème, voir TRUDEL, op. cit., I : 243-334.
48
Msr Briand au nonce à Paris, 27 juil. 1770; le même à Villars,
28
juil. 1770 (AAQ, Copies de lettres, IV : 135, 139), RAPQ, 1929-30 : 85.
4
9 Le même au vic.-gén. Marchand, 25 avril 1767 (AAQ, Copies de lettres,
III
: 253), RAPQ, 1929-30 : 70.
— 21 —
l'affaire jusqu'en
1770 et donne enfin son consentement. A un correspondant,
MBr Briand raconte
que le choix du coadjuteur s'est fait « de
l'agrément du
Gouverneur », mais au nonce de Paris il donne une
version moins
pudique : le gouverneur, écrit-il, « m'a proposé pour mon
coadjuteur M.
Louis-Philippe Mariauchau Desglis » ; ou, comme il l'écrit
à l'un de ses
vicaires généraux : le gouverneur « a paru désirer
M. d'Esgly; je n'ai
pas cru devoir m'y opposer, c'est un bon prêtre 50 ».
Qui était ce Desgly,
choisi par le gouverneur ? un prêtre de soixante
ans, donc de cinq
ans plus âgé que l'évêque en titre, affligé de surdité
et dont Ivlb* briand
dira dès 17/4 que ce coadjuteur ne lui est pas « d'un
grand secours 51 » ;
curé de Saint-Pierre de l'île d'Orléans depuis près
de quarante ans, il
va y demeurer non seulement dans le temps de sa
coadjutorerie, mais
même une fois devenu évêque de Québec : ce qui
compliquera
sérieusement l'administration ecclésiastique. Choisi en
1770, Mgr Desgly ne
sera consacré qu'en juillet 1772, à cause de
difficultés
survenues à Londres, et ne sera proclamé qu'en 1774. Il
avait fallu huit ans
pour assurer la survivance épiscopale, et encore
n'avait-on obtenu,
par la décision du gouverneur, qu'un coadjuteur
sexagénaire, entêté
jusqu'à sa mort à vivre dans son île, au lieu
d'accepter des
appartements au Séminaire de Québec.
Dix ans plus tard,
ce même problème de survivance se pose :
Mgr Briand, âgé de
soixante-neuf ans, sent croître ses infirmités, son
coadjuteur est un
vieillard de soixante-quatorze ans : on pouvait
craindre « que la
mort de l'un et de l'autre ne privât encore le diocèse
de la succession
épiscopale 52 » : Mgr Briand démissionne donc en 1784
pour que Mgr Desgly,
devenu évêque en titre, puisse avoir un coadjuteur.
Profitant,
semble-t-il, de l'absence du gouverneur Haldimand (qui vient
tout juste de partir
pour l'Angleterre), Mgr Desgly choisit Jean-François
Hubert, ancien
secrétaire de Mgr Briand et alors missionnaire à Détroit,
qui n'avait que
quarante-cinq ans. Pour Mgr Desgly, le droit du roi
d'Angleterre à
nommer l'évêque « paraît incontestable », mais on compte
que « du moins pour
cette fois », le roi n'en nommera pas d'autre que
Hubert53. Le
Gouvernement n'avait pas encore dit son mot. Il paraît
qu'Haldimand, assez
mécontent de ce qui s'était passé, aurait poussé
deux candidats, l'un
dominicain, l'autre récollet qu'on disait de tristes
sujets54. En tout
cas, Londres exige qu'on offre d'abord la coadjutorerie
à celui-là même
qu'on avait écarté vingt ans plus tôt, le sulpicien
50
Mgr Briand au vic.-gén. Marchand, 22 juin 1770; le même au doyen
Lacorne,
27 juil. 1770 (AAQ, Copies de lettres, IV : 153; Cartable des grands
vicaires,
69), RAPQ cité, 85; 1947-48 : 108; voir aussi les lettres plus haut citées,
note
48.
51
Mgr Briand à l'abbé de l'Isle-Dieu, 7 juin 1774 (AAQ, Evèques de
Québec,
I : 172), RAPQ, 1929-30 : 107; Mandements, II : 312.
52
Oraison funèbre par M. Plessis, citée dans Mandements, II : 187.
53
Mgr Briand au Saint-Siège, 30 nov. 1784 (AAQ, Evèques de Québec, I :
188),
RAPQ, 1929-30 : 132; Mandements, II : 341s.; Mgr Desgly au nonce à Paris,
2
janv. 1785 (AAQ, Registre D: 45), RAPQ, 1930-31 : 187.
54
Adhémar et Delisle à Mgr Briand, 8 mars 1785 (AAQ, Gouvernement,
I
: 37), RAPQ, 1929-30 : 132.
— 22 —
Montgolfier.
Situation très embarrassante : Rome a déjà accepté
Hubert; quant à
Montgolfier, il avait vieilli depuis l'élection secrète de
1763 : âgé de
soixante-quatorze ans, il était d'ailleurs malade et
« retombait en
enfance » ; il refuse l'invitation dans toutes les formes
et, après seulement,
Londres laisse le champ libre à Hubert55. Les
bulles arrivent en
mai 1786, mais le lieutenant-gouverneur Hope, faute
d'une confirmation
officielle de Londres, ne permet pas de procéder à
la consécration : il
faut attendre le nouveau gouverneur, Carleton dit
Dorchester, ce qui
retarde le sacre à novembre 1786 56. Mgr Hubert est
le premier évêque du
régime anglais à être véritablement le choix de
la hiérarchie
catholique, mais les deux années de tractation avaient
failli, à cause de
la vieillesse de Mgr Briand et de MBr Desgly, mettre fin
à la survivance
épiscopale.
Devenu évêque en
titre en 1788, Msr Hubert doit se donner un
coadjuteur : c'est
le gouverneur Dorchester qui le choisit. A ne lire
que la
correspondance ecclésiastique avec Paris et Rome, on croirait
que l'évêque a
procédé en toute liberté57; or nous trouvons dans une
lettre de Msr Hubert
à Dorchester l'aveu suivant : « Quand il a plu à
Votre Excellence de
nommer Monsieur Bailly pour mon coadjuteur 58. »
Ancien missionnaire
d'Acadie et ancien aumônier militaire, Bailly de
Messein avait été
pendant quatre ans en Angleterre précepteur des
enfants de
Dorchester; lorsque celui-ci revient en 1786, Bailly de
Messein, curé de
Neuville, est un assidu du château. De ce coadjuteur
mondain et ambitieux
qu'on lui a imposé, Mgr Hubert aura à se
plaindre amèrement,
en particulier dans la querelle universitaire de
1789, et il écrira
même à Dorchester : « Plus il est voisin du sommet,
plus il s'efforce
d'y atteindre. La seconde place dans mon Diocèse ne
lui suffit pas 59. »
Pour sa conduite à l'égard de son évêque, Msr Bailly
de Messein sera même
menacé de déposition par Rome60.
Ce coadjuteur
encombrant décède en 1794 : instruit par l'expérience,
Dorchester va-t-il
laisser toute liberté à Mgr Hubert ? Il se
produit un léger
changement : l'évêque peut maintenant choisir parmi
trois noms que lui
donne le gouverneur. Msr Hubert est tout heureux
55
Lord Sydney au lieut.-gouv. Hamilton, 30 avril 1785; le cardinal Antonelli
à
Mgr Briand, 29 juin 1785; Brassier à Mgr Hubert, 12 avril 1790; Mgr Desglv
à
Villars, 9 juil. 1785; le même à lord Sydney, 9 juil. 1785; le vic.-gén. Hussey
à
Mgr
Desgly, 6 déc. 1785 (AAQ, Gouvernement, I : 41; Correspond, manuscrite de
Rome,
I : 44; Cartable des grands-vicaires, 17; Evêques de Québec, II : 7, 16;
VI
: 24), RAPQ, 1929-30 : 133; 1930-31 : 189, 190; 1947-48 : 115.
56
Le lieut.-gouv. Hope à MBr Hubert, 31 mai 1786 (AAQ, Gouvernement,
I
: 48), RAPQ, 1930-31: 201; Mgr Briand au vic.-gén. Hussey, 19 sept. 1786;
Mgr
Desgly au gouv. Dorchester, 30 oct. 1786 (AAQ, Copies de lettres, V : 219,
229),
RAPQ
cité, 191, 193.
57
Mgr Hubert au cardinal Antonelli, 19 juin 1788; le cardinal Antonelli à
Mgr
Hubert, 27 sept. 1788 (AAQ, Registre D : 106, 182), RAPQ cité, 204, 205;
Mgr
Hubert à Villars, 20 oct. 1788 (AAQ, Registre des lettres, 1: 8), RAPQ cité,
206.
58
Mgr Hubert au gouv. Dorchester, 1790, dans Mandements, II : 419.
59
Lettre citée.
eo
Le cardinal Antonelli à Mgr Hubert et à Mg^ Bailly, 6 avril 1791 (AAQ,
Correspond,
manuscrite de Rome, III : 53), RAPQ cité, 247.
— 23 —
de la « liberté du
choix » et il écrit : le gouverneur « m'a laissé dans ce
choix une liberté
entière sur ceux qu'il m'avoit nommés61 ». Curieuse
liberté entière que
celle-là ! En tout cas, parmi ces noms, l'évêque
choisit Pierre
Denaut, curé de Longueuil, et il l'invite à remercier le
gouverneur d'avoir
pensé à lui62.
Mgr Denaut accède au
siège episcopal en 1797 : il lui faut un
coadjuteur. Quand
Plessis aura été choisi, Mgr Denaut écrira : « Ce
n'a pas été une
petite affaire de nommer un coadjuteur63. » Que
s'est-il passé? La
nomination du coadjuteur, vient-il d'écrire, dépend
entièrement du bon
plaisir du roi ou du gouverneur, et il est à craindre
que l'épiscopat « ne
soit accordé à la brigue ou à la faveur de quelque
ambitieux 64 ».
L'histoire Bailly de Messein faillit se répéter lorsque
le prince Edouard,
dans des circonstances restées obscures, tenta de
faire passer
Pierre-Simon Renauld, curé de Beauport65. On choisit
plutôt Plessis, curé
de Québec, réputé pour son éloquence et son vaste
savoir: âgé de trente-quatre
ans, il sera le plus jeune évêque du pays
laurentien sous le
régime anglais. Il a été le candidat du gouverneur
Prescott; nous
ignorons s'il était un candidat unique ou si d'autres
avaient été placés
en lice; en tout cas, Mgr Hubert écrit à Prescott :
« Je ne saurais
témoigner trop de reconnaissance à Votre Excellence
pour le choix
qu'elle a fait du futur coadjuteur. Ce choix est selon
mon coeur 66. »
Quand Mgr Plessis
devient évêque en titre, en 1806, à quarantetrois
ans, il a besoin
d'un coadjuteur pour assurer la survivance
épiscopale. En 1770,
le coadjuteur désigné avait cinq ans de plus que
l'évêque; cette
fois, Bernard Panet, curé de la Rivière-Ouelle, en a dix
de plus ! Ce qui
donnera lieu longtemps à des inquiétudes. Mgr de
Cheverus écrira à
Mgr Plessis en 1817 : « Je regrette bien l'infirmité
de votre vénérable
coadjuteur67 »; et, voyant l'évêque titulaire parvenu
à soixante-deux ans
quand le successeur à venir en a soixante-douze,
Mgr Lartigue s'en
ouvre à Mgr Plessis dans une lettre qu'il lui demande
de brûler : curé de
la Rivière-Ouelle depuis quarante-quatre ans, ce
coadjuteur âgé a de
la répugnance à vivre en ville, il n'est aucunement
initié à la fonction
épiscopale, il serait homme à se laisser imposer un
61
Mgr Hubert à Mgr Denaut, 31 mai 1794 (AAQ, Registre des lettres, II :
133),
RAPQ cité, 300; le même au cardinal Antonelli, 13 juin 1794 (AAQ,
Registre
E : 36), RAPQ cité, 302.
62
Le même à Mgr Denaut, 26 mai 1794 (AAQ, Registre des lettres, II :
131),
RAPQ cité, 300.
63
Mgr Denaut au missionnaire Marchand, 27 sept. 1797 (AAQ, Registre
des
lettres, II : 243), RAPQ, 1931-32 : 138.
64
Mgr Denaut au cardinal Gerdil, 10 sept. 1797 (AAQ, Registre G : 1),
RAPQ
cité, 137.
65
Mgr Lartigue à Mgr Signay, 20 mai 1834 (AAM, Registre des lettres,
VII
: 470), RAPQ, 1943-44 : 265.
66
Mgr Hubert au gouv. Prescott, s.d. (AAQ, Registre E
: 81), RAPQ,
1930-31
: 350.
67
Mgr de Cheverus à Mgr Plessis, 8 août 1817 (AAQ, Etats-Unis, II : 30).
RAPQ,
1932-33 : 126.
— 24 —
coadjuteur par le
Gouvernement et « où en serait alors la religion dans
ce pays68 ? » Qui
donc avait choisi Panet ? La correspondance
officielle nous le
présente comme demandé par Mgr Plessis lui-même69,
mais la
correspondance officielle a toujours fait illusion sur ce point;
c'est Mgr Panet qui
nous donne lui-même la vraie réponse, lorsqu'il
affirme que depuis
la conquête il a toujours été d'usage que le gouverneur
choisisse le
coadjuteur 70.
Le problème
episcopal se pose de nouveau en 1825, à la mort de
Mgr Plessis. Entre
temps, il y avait eu nomination de quatre évêques
auxiliaires
(McDonell, McEachern, Provencher et Lartigue) : ils avaient
été le libre choix
de la hiérarchie catholique, parce qu'aucun d'eux
n'avait droit de
succession au siège de Québec, le seul reconnu dans le
Bas-Canada71. Il
faudra donc un coadjuteur à Mgr Panet, nouvel
évêque en titre; en
1794, le gouverneur avait présenté trois noms à
Pévêque; en 1825, on
procède autrement : c'est l'évêque qui soumet
trois noms au
gouverneur Dalhousie, en proposant Joseph Signay,
Pierre-Flavien
Turgeon et un candidat qui nous demeure inconnu. Ces
deux derniers firent
savoir au gouverneur qu'ils refuseraient l'épiscopat
s'ils étaient
choisis. Il ne resta donc plus que Signay : on craignit un
temps que le
gouverneur n'ajoutât de lui-même aux candidatures et,
par ailleurs, selon
Mgr Lartigue, une faction aurait tenté de mousser la
candidature du
célèbre curé Chaboillez dont les polémiques avaient
causé tant d'émoi
72. En tout cas, Dalhousie opta pour Signay et lui
écrivit : « I have
selected you to that charge » ; à Mgr Panet, il annonce
dans une lettre : «
Having after mature consideration selected Monr
Signay to be the
coadjutor in your vacancy, and knowing from yourself
68
Mgr Lartigue à Mgr Plessis, 23 avril 1825 (AAM, Registre des lettres,
III
: 200), RAPQ, 1941-42 : 459.
69
Le Préfet de la Propagande à Mgr Plessis, 23 août 1807 (AAQ, Correspondance
manuscrite
de Rome, III : 105), RAPQ, 1932-33 : 31.
™
Mgr Panet au Préfet de la Propagande, 21 nov. 1827 (AAQ, Reg. des
lettres,
XIII : 289), RAPQ, 1933-34 : 368. Quand il affirme que le choix
du
coadjuteur se fait depuis la conquête par le gouverneur, Mgr Panet ajoute
que
le gouverneur choisit parmi les trois prêtres présentés par l'évêque; or ici
Mgr
Panet fait erreur : Desgly et Bailly ont été désignés sans choix par le
gouverneur;
Denaut a été choisi parmi trois noms soumis par le gouverneur et
non
par l'évêque; il a pu en être de même pour Plessis et Panet.
71
~h/[ST Plessis obtint directement de Londres l'approbation de quatre nouveaux
évêques
auxiliaires : en 1817, il avait obtenu la reconnaissance d'Alexandre
McDonell
pour le Haut-Canada (sacré le 31 déc. 1820), et celle de Bernard Angus
McEachern
pour les Maritimes (sacré le 17 juin 1821); en 1819, lors de son
voyage
en Angleterre, il fait agréer par le Régent, Joseph-Norbert Provencher pour
la
Rivière-Rouge (sacré le 22 mai 1822) et Jean-Jacques Lartigue pour Montréal
(sacré
le 21 janvier 1821). Mgr Plessis à lord Bathurst, 20 août et 16 sept. 1819
(AAM,
Pièces et actes, I : 2), RAPQ, 1941-42 : 347s.; lord Bathurst à Mgr Plessis,
15
sept. 1819 {ibid., I : 3), RAPQ cité, 348.
72
Mgr Panet au Préfet de la Propagande, 21 nov. 1827 (AAQ, Registre
des
lettres, XIII : 289), RAPQ, 1933-34 : 369; Mgr Turgeon à Thomas Maguire,
25
oct. 1833 (AAQ, Evêques de Québec, VII : 5), RAPQ, 1937-38 : 23; Mgr Lartigue
au
vie. apostol. Poynter, 13 déc. 1825 (AAM, Registre des lettres, IV : 30),
RAPQ,
1941-42 : 473s.
— 25 —
"that that
nomination is acceptable to you 73. »
Ce choix fait, il
faut,en plus des bulles de Rome, attendre l'approbation de Londres, et
Dalhousie apporta en
l'affaire une innovation dangereuse : il prétendait
qu'il fallait
envoyer à Londres trois noms parmi lesquels choisirait
là-bas le
Gouvernement74. Le temps passait, et en 1826 Mgr Panet
s'alarme à bon droit
: « A mon âge de 74, tout à l'heure accomplis, je
puis à tout moment
descendre au tombeau & où en seroit le Diocèse de
Québec, s'il n'y
avoit pas de Coadjuteur 75 ? » Enfin, choisi à la fin
de 1825, Msr Signay
put se faire sacrer en mai 1827, après un retard
d'un an et demi qui
avait lailli interrompre la succession du siège
de Québec.
Au début d'octobre
1832, Mgr Panet devenu trop vieux laisse
l'administration du
diocèse à Mgr Signay; tout de suite, le 10 octobre,
le gouverneur Aylmer
écrit à Mgr Panet : « Pour ce qui regarde la
question
intéressante de trouver un coadjuteur [à Mgr Signay], je prie
votre Seigneurie
d'avoir la complaisance de [lui] communiquer mon
désir de
m'entretenir avec lui là-dessus; et j'espère que le résultat
contentera et votre
Seigneurie et lui76. » Que résultera-t-il de ce rendezvous
de Mgr Signay au
château ? une lettre d'Aylmer à Signay le
surlendemain : «
Having after mature consideration selected Mons.
Turgeon to be the coadjutor in your vacancy and
knowing from
yourself that this
nomination is acceptable to you » ; trois mois après,
le coadjuteur
Turgeon était déjà accepté par Londres 77. En ce choix
de 1832, c'est
encore le gouverneur qui prend l'initiative en faisant venir
l'évêque au château
pour discuter d'un coadjuteur, mais c'est l'évêque
qui fait passer son
candidat : celui-ci répondait parfaitement aux
vues d'Aylmer.
A cause de la
subdivision qui va bientôt se produire pour le diocèse
de Québec dans le
Bas-Canada, Mçr Turgeon est le dernier coadjuteur
dont le choix soit à
décider entre le gouverneur et l'évêque. Après 1832,
la hiérarchie
catholique ne traite plus, sur ce point, qu'avec Rome.
C'est Mgr Lartigue
qui eut le courage de poser le premier geste d'indépendance
absolue en 1836 :
deux ans plutôt, il s'était choisi un coadjuteur
dans la personne
d'Antoine Tabeau sans en rien discuter avec le
73
Lord Dalhousie à Mgr Signay, 10 déc. 1825; le même à MBT Panet,
16
déc. 1825 (AAQ, Gouvernement, II : 26, 29), RAPQ, 1933-34: 264, 265.
7
4 Le même à Mgr Panet, 9 déc. 1825; le secrétaire Cochrane à Mgr Signay,
16
déc. 1825 (AAQ, Gouvernement, II : 25, 30), RAPQ cité, 264, 265; Mgr Panet
à
Mgr Poynter, 21 déc. 1825 (AAQ, Registre des lettres, XII : 402), RAPQ cité,
266;
lord Goderich au gouv. Aylmer, 3 janv. 1833 (AAQ, Gouvernement, II : 63),
RAPQ,
1935-36 : 272.
75
Mgr Panet à Robert Gradwell, 15 nov. 1826 (AAQ, Registre des lettres,
XIII
: 55), RAPQ, 1933-34 : 318.
7
6 Le gouv. Aylmer à Msr Panet, 10 oct. 1832 (AAQ, Gouvernement, II :
56),
RAPQ, 1935-36 : 270.
7
7 Le même à Mgr Signay, 12 oct. 1832 (AAQ, Gouvernement, II : 37),
RAPQ,
1936-37 : 131s.; Mgr Signay à Mgr Provencher, 11 avril 1833 (AAQ,
Registre
des lettres, XV : 367), RAPQ cité, 180.
— 26 —
Gouvernement78, mais
Montréal n'était pas encore un évêché en titre;
il le devient en
1836. Que fait alors Mgr Lartigue ? Sans en discuter
avec le gouverneur,
sans même l'en avertir, il envoie à Rome trois noms
d'épiscopables, dont
le dignissimws était Ignace Bourget; mis devant le
fait accompli, le
gouverneur et Londres approuvèrent rapidement le
choix de Bourget. Le
précédent posé par Msr Lartigue avait bien fait
plaisir à Msr Signay
: on se sentait enfin libre 79.
Ce problème de la
nomination d'un coadjuteur à l'évêque de Québec
n'était qu'un
problème intermittent, ses données pouvaient varier d'un
gouverneur à
l'autre, d'un évêque à l'autre, il pouvait être plus ou
moins difficile
selon les circonstances, mais il ne se posait que par
intervalles. Or un
problème d'envergure harasse sans arrêt pendant
soixante-dix ans
l'Eglise catholique du Canada français : la subdivision
de l'immense diocèse
de Québec.
Le diocèse primitif
couvrait toute la Nouvelle-France, c'est-à-dire
depuis le golfe
Saint-Laurent jusqu'au golfe du Mexique; la conquête
l'amputa de la
Louisiane, puis le traité de 1783 en détacha l'actuel
territoire des
Etats-Unis : il restait quand même les Maritimes, le Bas-
Canada, le
Haut-Canada et l'Ouest ! Dès 1783 et plus fortement encore
en 1789, l'évêque de
Québec aurait voulu un évêché à Montréal, « mais,
écrivait-il, il faut
pour cela auprès des cours de Londres et de Rome,
beaucoup de
formalités qui demandent du temps 80 ». Rome manifesta
tout de suite son
accord 81, mais il y avait Londres ! Périodiquement,
en 1803, en 1806, en
1809, en 1816, on revient là-dessus, comme lorsque
7 8 Thomas Maguire à
Mgr Ange Mai, 14 juil. 1834 (AAQ, Diocèse de
Québec, VII : 118),
RAPQ cité, 264. Dégoûté des misères que lui causaient
ses ex-confrères les
Sulpiciens, Mgr Lartigue voulait démissionner au bénéfice de
Tabeau, mais ce
dernier ne voulait pas accepter la charge, malgré les pressantes
invitations de Rome
qui lui donna le titre d'évêque-élu de Spiga : sa mort mit un
terme à la
discussion.
79
Mgr Signay à Mgr Lartigue, 26 oct. 1836 (AAQ, Registre des lettres,
XVII
: 512), RAPQ, 1937-38 : 133; Mgr Lartigue au cardinal Fransoni,
12
nov. et 28 déc. 1836 (AAM, Registre des lettres, VIII : 312, 342), RAPQ,
1944-45
: 218s., 227; le secrétaire Walcott à Mgr Lartigue, 9 sept. 1837 (AAM,
Pièces
et actes, III : 26), RAPQ, 1944-45 : 250. Rome avait décidé en
1834
qu'on lui enverrait trois noms choisis par les évêques, les vicaires généraux
et
les supérieurs réunis que, ces noms une fois approuvés, l'évêque de Québec en
présenterait
un au Gouvernement britannique. C'est à peu près ce que Rome
réclamait
depuis longtemps mais, comme l'écrivait Mgr Panet le 21 déc. 1825
(RAPQ,
1933-34 : 267), il n'était pas possible, sous le gouvernement anglais,
«
de suivre la marche ordinaire prescrite par le S. Siège ». Mgr Turgeon écrit
en
1834 : « Situés comme nous le sommes avec le Gouvernement, nous nous voyons
exposés
à voir bouleverser à Rome ce que nous aurons réglé ici avec connaissance
de
cause », mais depuis que Londres s'est désisté du choix sur les trois noms, il
devient
plus praticable d'envoyer trois noms à Rome (Mgr Turgeon à Mgr Lartigue,
24
avril 1834, RAPQ, 1937-38 : 24).
80
Mgr Hubert au Préfet de la Propagande, 24 oct. 1789 (AAQ, Registre
des
lettres, 1: 81), RAPQ, 1930-31 : 219s.; Mgr Hubert à Mgr Bailly, 12 août 1789
(AAQ,
Registre cité, I : 43), RAPQ cité, 213; Mgr Panet à Maguire et Tabeau,
27
mai 1829 (AAQ, Registre K : 96), RAPQ, 1934-35 : 341.
81
Le Préfet de la Propagande à Mgr Hubert, 6 fév. 1790 (AAQ, Correspondance
manuscrite
de Rome, III : 50), RAPQ, 1930-31 : 226.
— 27 —
Mgr Plessis écrivait
en 1806 que l'Eglise canadienne « auroit besoin
d'être divisée en
quatre ou cinq Diocèses pour pouvoir être gouvernée
passablement82»,
mais il y avait toujours obstacle du côté de
l'Angleterre.
Mgr Plessis était
depuis deux ans reconnu officiellement comme
évêque de Québec par
Londres, lorsque le pape Pie VII prend sur lui,
par les bulles du 12
janvier 1819, de nommer Plessis archevêque, en
lui donnant pour
sufïragants Mgr McDonell, évêque auxiliaire à Kingston,
et Mgr McEachern
évêque auxiliaire à Charlottetown 83. Mgr Plessis
soumet tout de suite
à lord Bathurst un projet de quatre nouveaux
diocèses : les
Maritimes, Montréal, le Haut-Canada et la Baie d'Hudson;
ce projet laissait
quand même au diocèse de Québec une population de
150,000 âmes,
répartie sur une étendue de 500 milles ! Or l'initiative
de Rome en 1819
avait causé un froid très dommageable; prétextant
que ce projet
donnerait à l'évêque catholique préséance sur l'évêque
protestant, lord
Bathurst répondit que le Gouvernement n'y consentirait
jamais 84. De sorte
qu'en 1821, nous trouvons, du point de vue de
Rome, un Plessis qui
est archevêque au-dessus de ses sufïragants
McEachern, Lartigue,
McDonell et Provencher, alors que, du point de
vue de Londres,
Plessis n'est qu'évêque et les sufïragants ne sont que
des vicaires
généraux 85. Comme le précisait le secrétaire du gouverneur
: « There is one bishop acknowledged in Canada 86. »
De Halifax
à Saint-Boniface, il
n'y a toujours en 1821 qu'un seul diocèse, qu'un
seul évêque !
Le titre
d'archevêque qu'avait reçu Mgr Plessis en 1819 demeurera
donc un titre secret
jusqu'en 1844. Il n'était pas facile à dissimuler.
Par exemple, lord
Bathurst lit dans la Gazette de Québec que l'archevêque
Plessis a installé à
Montréal l'évêque Lartigue; il se plaint tout
de suite que Mgr
Plessis a violé les conventions qui avaient été faites
entre eux, mais Mgr
Poynter, chargé d'affaires de Plessis, répond que
c'est là une fausse
nouvelle, et Bathurst présente des excuses 87. Quand
les bulles arrivent,
nommant Mgr McEachern et Mgr McDonell sufïragants
de l'archevêque de
Québec, on recommande le grand silence; en 1820,
comme le bref qui
établit Mgr Lartigue à Montréal contient le mot
82
Mgr Plessis à Bourret, 25 mai 1806 (AAQ, Registre des lettres, IV : 221),
RAPQ,
1932-33 : 24.
83
Bulles de Pie VII, 12 janv. 1819 (AAQ, Registre H : 242 et 244), RAPQ
cité
141.
84
' Mgr Plessis à lord Bathurst, 20 août 1819 (AAQ, Registre H : 247), RAPQ
cité,
147; Sherbrooke à Mgr Plessis, 3 sept. 1819 (AAQ, Gouvernement, I : 173),
RAPQ
cité, 148; Mgr Plessis au cardinal Fontana, 17 nov. 1819 (AAQ, Correspond,
manuscrite
de Rome, III : 152), RAPQ cité, 151.
85
Mgr Poynter à Mgr Plessis, 3 janv. 1821 (AAQ, Angleterre, II : 62),
RAPQ
cité, 169; le cardinal Fontana à Mgr Lartigue, 10 déc. 1821 (AAQ,
Correspondance
manuscrite
de Rome, III : 191), RAPQ cité, 181.
86
Le secrétaire Cochrane à Mgr Plessis, 3 oct. 1823 (AAQ, Gouvernement,
I
I : 18), RAPQ cité, 205.
87
Mgr Poynter à Mgr Plessis, 7 avril 1821 (AAQ, Angleterre, II : 87),
RAPQ
cité, 173; le même au même, 6 fév. 1822 (AAQ, Angleterre, I I : 92),
RAPQ
cité, 183.
— 28 —
archevêque, Mgr
Plessis défend qu'on le lise en public; en 1825,
Mgr Panet recommande
à Rome de ne pas mettre le mot archevêque
dans les bulles du
coadjuteur Signay; encore en 1835, Mgr Lartigue
écrit qu'il ne faut
pas lire le bref qui établit Mgr Tabeau à Montréal, à
cause du titre
d'archevêque qu'on y donne à Mgr Signay 88.
Dramatique à certains
moments, comme dans le cas de Mer Lartigue
89, cette situation
ne pouvait durer indéfiniment. On avait réussi à
détacher les
Maritimes et le Haut-Canada, mais on ne parvenait pas à
obtenir de Londres
qu'il y ait plus d'un diocèse dans le Bas-Canada.
Pour sa part, Mgr
Lartigue soutenait sans relâche qu'on devait créer
le siège de Montréal
à l'insu du Gouvernement, comme on avait créé
l'archevêché, que
l'approbation de la puissance civile n'était pas essentielle
(les évêques de
Québec s'en étant passés pendant plus de cinquante
ans) et que
l'épiscopat de Québec avait une peur désordonnée
de déplaire au
Gouvernement90. Sur ce dernier point, il avait raison :
à cause de la
fâcherie de Bathurst en 1819, Mgr Panet en était encore
en 1829 à juger plus
prudent de ne pas demander d'évêchés distincts91;
Mgr Signay
tergiverse tellement que Mgr Lartigue finit par penser que
l'évêque de Québec
s'oppose tout simplement à la subdivision 92. Enfin,
la hiérarchie décide
de présenter des requêtes à des gouverneurs de
mieux en mieux
disposés, Aylmer et Gosford : lorsque, en 1836, Mgr
Lartigue obtient de
Rome un bref qui le nomme évêque en titre de
Montréal, la
reconnaissance officielle vient peu après de Londres 93.
Pourquoi le
Gouvernement anglais s'était-il entêté à retarder la
multiplication des
sièges épiscopaux ? Le refus du Gouvernement a
pu s'expliquer un
moment par la parenté de Mgr Lartigue avec ces
88
Mgr Lartigue à Mgr Poynter, 20 oct. 1821; le même à Mgr Signay,
24
janv. 1835 (AAM, Registre des lettres, 1: 134; VII : 661), RAPQ, 1941-42 : 380;
1943-44:
289; Mgr Panet à Mgr Plessis, 5 juil. 1819 (AAQ, Evêques de Québec,
TV
: 124), RAPQ, 1933-34 : 250; le même au cardinal Somaglia, 21 déc. 1825; le
même
à Gradwell, 15 nov. 1826 (AAQ, Registre des lettres, XII : 407; XIII : 55),
RAPQ
cité, 267s., 319.
8
9 C'est surtout parce que Mgr Lartigue n'était que coadjuteur au lieu
d'être
évêque en titre à Montréal, que les sulpiciens et d'autres prêtres lui
rendirent
la vie impossible pendant de longues années, l'ignorant de la façon la
plus
cruelle et le réduisant longtemps à faire de l'Hôtel-Dieu sa résidence
épiscopale.
9
0 Mgr Lartigue au Préfet de la Propagande, 20 fév. 1821; le même à
Poynter,
20 oct. 1821 (AAM, Registre des lettres, I : 18, 134), RAPQ, 1941-42 :
358,
380; le même à Mgr Plessis, 5 nov. 1823; le même au révérend Wiseman,
3
nov. 1830; le même à J.-B. St-Germain, 27 août 1836 (AAM, Registre des lettres,
II
: 279; V : 355; VIII : 234), RAPQ, 1941-42 : 430; 1942-43 : 89; 1944-45 : 199.
91
Msr Panet au sulpicien Roux, 14 mars 1829 (AAQ, Registre des lettres,
XIV
: 19), RAPQ, 1934-35 : 332.
9
2 Mgr Lartigue écrit qu'il n'a invité à son installation ni Mgr Turgeon ni
le
clergé de Québec, à cause de Mgr Signay € qui a marqué tant d'opposition à la
prise
actuelle de la possession de mon Siège » (Msr Lartigue à M*r Turgeon,
13
sept. 1836, RAPQ, 1944-45 : 205).
«3
Bref du 13 mai 1836 (AAM, Pièces et actes, II : 202), RAPQ cité, 190;
lord
Glenelg à lord Gosford, 2 déc. 1836 (AAM, Pièces et actes, II : 202), RAPQ
cité,
232; le secrétaire Walcott à Mgr Lartigue, 24 janv. 1837 (loc. cit.).
— 29 —
Papineau et Viger
qui se montraient les durs adversaires de Dalhousie 94 ;
il peut aussi
s'expliquer partiellement par l'absence chez les Anglicans
du Canada d'une
hiérarchie archiépiscopale95. Mais la raison profonde,
nous croyons la
trouver dans le besoin d'asservir l'Eglise catholique:
selon ce que
rapporte Mgr Bourget, le gouverneur Thompson
a déclaré qu'il «
n'était pas commode pour le Gouvernement d'avoir
affaire à plusieurs
évêques et qu'il était de l'avis de sir Kempt qui n'en
voulait qu'un seul
auquel seraient référées toutes les affaires qui concernaient
les intérêts mutuels
de l'Eglise et de l'Etat96». Dans ce
système d'union de
l'Eglise et de l'Etat, il ne fallait à l'Etat qu'un seul
interlocuteur : dès
qu'il y a plus d'un évêque en titre, l'Etat perd sa
maîtrise, et tout ce
qu'il a construit depuis le gouverneur Murray pour
dominer l'Eglise,
s'écroule.
Dans cette longue
marche vers la libération, c'est l'installation
de Mgr Lartigue
comme évêque en titre à Montréal, en 1836, qui nous
paraît marquer
l'étape capitale. Et c'est, d'ailleurs, Mgr Lartigue, simple
coadjuteur ou évêque
en titre, qui se sent le plus libre de l'influence
du gouverneur et qui
sans cesse aiguillonne ces évêques timides qu'ont
été Panet et Signay
97 ; et quand Mgr Signay s'opposera à la formation
d'une province
ecclésiastique par crainte de mécontenter le Gouvernement,
c'est Mer Bourget
qui viendra à la rescousse : « Nous devons
faire nos affaires
sans nous inquiéter de l'intervention (du Gouvernement),
il nous laissera
faire tout ce que nous voudrons, tant que
nous serons de bons
et loyaux sujets98.» Mgr Signay cède enfin, les
9
4 C'est une raison que Mgr Panet donne à Mgr Lartigue : lettre du
1e
r mai 1826 (AAQ, Registre des lettres, XII : 498), RAPQ, 1933-34 : 289.
95
]ypr Poynter écrivait à Mgr Plessis en 1824 que Bathurst ne pouvait
consentir
à un archevêché catholique : l'évêque protestant de Québec se fût
alors
trouvé sur un pied d'infériorité (14 juin 1824, AAQ, Angleterre, II : 128;
RAPQ,
1932-33: 215). En 1829, Mgr Panet écrit à Mgr Lartigue: «En Angleterre,
on
ne permettra pas qu'il y en ait un seul [archevêque] dans une Colonie
Catholique
tandis qu'il ne peut y en avoir dans les Colonies Protestantes et que
tous
les Evêques dépendent de l'Archevêque de Canterbury» (14 janv. 1829, AAQ,
Registre
des lettres, XIII : 512; RAPQ, 1934-35 : 322).
9
6 Mgr Bourget à Mgr Turgeon, 8 avril 1840 (AAM, Registre des lettres,
II
: 79), RAPQ, 1945-46 : 223.
9
7 Mgr Lartigue, en 1824, conseille à un curé de renvoyer au Gouvernement
sa
commission d'aumônier, « parce qu'elle ressent trop la suprématie spirituelle
que
le civil prétend s'arroger quelquefois sur l'église catholique ». En 1827, il
écrit
qu'il faut parler ferme à Dalhousie qui n'a pas fait ce qu'il fallait pour se
concilier
la confiance du clergé, puisqu'en Angleterre ce Dalhousie a voté contre
l'émancipation
des catholiques. En 1829, songeant au refus du Gouvernement de
reconnaître
plusieurs évêques dans le Bas-Canada, il écrit : « Si j'avais maintenant
une
bulle de Rome qui érigeât Montréal en évêché et m'en nommât évêque, je me
moquerais
du reste. » En 1837, il écrit à Mgr Signay de porter le titre d'archevêque
sans
se soucier du Gouvernement. Mgr Lartigue au curé Consigny, 23 août 1824
(AAM,
Registre des lettres, III : 71), RAPQ, 1941-42 : 446. Le même à Mgr Panet,
11
oct. 1827 (AAM, Registre cité, IV : 275), RAPQ, 1942-43 : 13. Le même à
Maguire
et à Tabeau, 4 nov. 1829 (AAM, Registre cité, V : 166), RAPQ cité, 62.
Le
même à Mgr Signay, 4 juil. 1837 (AAM, Registre cité, VIII : 402), RAPQ
1944^45
: 246.
98
MBT Bourget à Mgr Signay, 7 avril 1841; le même au cardinal Acton,
7
avril 1841 (AAM, Registre cité, II : 343,515),RAPQ, 1946-47 : 145; 1948-49 :
358s.
— 30 —
évêques du
Canada-Uni et des Maritimes demandent à Rome l'érection
d'une province
ecclésiastique et, le 24 novembre 1844, le titulaire de
Québec affiche
publiquement son titre d'archevêque qu'on lui avait
donné vingt-cinq ans
plus tôt".
C'est lorsque cette
Eglise du Canada français devient libre et
parce qu'elle
devient libre, que tout change chez elle. Limitée au seul
clergé séculier par
l'interdiction des autorités, elle n'avait reçu aucun
recrutement de
l'extérieur 10° à part les quelques Français chassés
par la Révolution
française, et elle n'avait rien ajouté à ses cadres,
bien au contraire
puisque le Chapitre, les Jésuites et les Récollets
avaient disparu. Or,
en 1837, sur l'initiative de Mgr Lartigue, s'amènent
les Frères des
Ecoles chrétiennes, et c'est le début d'une abondante
immigration
religieuse : les Oblats en 1841, les Jésuites et les Dames
du Sacré-Coeur en
1842,, les Soeurs du Bon Pasteur d'Angers en 1844,
les Clercs de
Saint-Viateur, les Clercs de Sainte-Croix et les Soeurs de
Sainte-Croix en
1847; on fonde les Soeurs de la Providence et les
Soeurs des Saints
Noms de Jésus et Marie en 1843, les Soeurs de la
Miséricorde en 1848.
Et ce n'est là qu'un point de départ ! Dans le
domaine
missionnaire, il ne s'était rien fait de grand ni de consistant
depuis la Huronie
des Brébeuf et des Lalemant : grâce aux Oblats,
aux Jésuites et aux
Soeurs Grises, nous assistons à un réveil missionnaire
de toute grandeur.
La vie religieuse restée jusque-là dans le
rigorisme ancien et
en vase clos, va se modifier profondément : M"
Mgr Bourget
manifestera la même énergie à l'égard du procès-verbal qu'on
avait rédigé,
lorsque l'évêque de Montréal était venu prêter serment devant le
Conseil exécutif; ce
procès-verbal parlait d'appointement de Bourget comme évêque
de Montréal; il
proteste auprès du gouverneur Thompson : je ne me suis pas
présenté devant le
Conseil pour être appointé, mais pour être reconnu; et, invoquant
une dépêche de lord
Glenelg (26 mai 1836) et lord Gosford, il demande que
l'on corrige le
procès-verbal (Mgr Bourget au gouverneur Thompson, 7 mai 1840,
RAPQ, 1946-47 :
89s.). Le gouverneur fait alors rédiger une nouvelle minute,
attestant simplement
que Mgr Bourget a prêté serment « as Bishop of the Roman
Catholic Church »,
et il déclare à l'évêque (ce qui marque que l'Eglise catholique
est enfin libre) : «
Il n'est pas nécessaire que votre succession au siège episcopal
soit suspendue
jusqu'à ce que le bon plaisir de la Couronne soit exprimé »
(Thompson à Mgr
Bourget, 29 mai 1840, RAPQ cité : 96).
99
Lettre pastorale du 24 nov. 1844, dans Mandements, III : 465-467. Les
évêques
qui demandent l'érection d'une province ecclésiastique sont les suivants :
Mgr
Power, de Toronto; Mgr Gaulin, de Kingston; Mgr Bourget, de Montréal:
Mgr
Signay et Mgr Turgeon, de Québec; Mgr Dollard, du Nouveau-Brunswick;
Mgr
McDonald, de Charlottetown ; Msr Fraser, de Halifax.
100
C'est que, selon Bathurst, le Gouvernement craint que les étrangers
viennent
prendre la place de Canadiens méritants; voici comment il s'en explique
dans
une lettre à Mgr Plessis : « With respect however to the admission of Foreign
Ecclesiastics
into the Province, I regret that I cannot consider it advisable to
accede
to your wishes. I trust however that you will believe that my refusal in
no
degree arises from any doubt as to the merits of the individuals who would
be
selected by you for such an office, but from a general objection to the
unnecessary
introduction
of Foreigners into ecclesiastical offices in His Majesty's foreign
possessions,
and also from a sincere desire to give due encouragement to those
who having been educated in the Province must
naturally look to be preferred
in
the Province to the offices of the Roman Catholic Church » (20 mai 1820, AAQ,
Gouvernement,
II : 5; RAPQ, 1932-33 : 159s.).
— 31 —
de Forbin-Janson
inaugure en 1840 le mouvement des retraites paroissiales;
en même temps que
Quertier et Chiniquy, les Oblats secouent
toute une province
qui baigne dans l'intempérance; en 1841, on
organise (et c'est
tout nouveau) la première retraite générale du clergé;
en 1843 et en 1844,
on applique pour le jeûne et l'abstinence les lois
plus libérales du
Haut-Canada et des Etats-Unis. L'érection d'une
vaste province
ecclésiastique en 1844 et le premier concile provincial
en 1851 vont
compléter l'aspect nouveau de cette Eglise et l'étalage
de ses forces. De
faible, soumise et timide qu'elle était, sortant d'un
siècle d'immobilisme
et de stagnation, l'Eglise canadienne retrouve
son prestige et son
dynamisme du XVIIe siècle.
Ces 75 ans de
servitude anglaise ont profondément marqué l'Eglise
canadienne du
Québec. Elles l'ont d'abord canadianisée dans son épiscopat
et dans sa
hiérarchie. Parce que l'Etat s'oppose à ce que l'Eglise
soit dirigée par des
Européens 101, les Canadiens ont accès à l'épiscopat
dès 1770, ce qui ne
s'était pas produit sous le régime français. Les
Jésuites, tous
Français de France en 1760, sont éliminés complètement.
Le Séminaire de
Québec, composé aussi en 1760 de Français de France,
va très volontiers
se recruter chez les Canadiens; quant au Séminaire
de Montréal, composé
de la même façon, il finira, malgré lui et avec
d'interminables
grincements de dents, par accepter des sulpiciens canadiens.
Canadianisation qui
n'est pas nécessairement un avantage :
l'Eglise renouvelle
ses ressources à même un milieu fermé, sans pouvoir
profiter des idées
d'un monde antre que le sien; il lui faudra l'immigration
ecclésiastique des
années 1840 pour rafraîchir son visage.
De plus, c'est le
régime anglais qui amène l'Eglise canadienne à
jouer dans la
société un rôle qui n'est plus strictement un rôle spirituel.
Certes, sous le
régime français, l'Eglise avait par suppléance assumé
l'hospitalisation et
l'éducation, ses registres avaient aussi servi à l'état
civil, mais il était
impensable sous le régime français que l'Eglise pût
intervenir dans les
domaines politique et économique. Or, sous le
régime anglais, elle
devient ouvertement le véhicule des ordres du
Gouvernement, elle
fait le recensement des ressources humaines et matérielles,
elle maintient le
peuple dans la fidélité à la Couronne et (parce
que l'Exécutif se
confond jusqu'en 1848 avec la Couronne) dans la
fidélité à
l'Exécutif; elle intervient pour appuyer un renouveau de
l'agriculture et
elle préconise une politique de colonisation à l'avantage
des Canadiens
français. Puissance spirituelle, l'Eglise devient une puissance
politique qui va
bientôt soulever la grande crise de l'influence
indue.
Enfin, le
gallicanisme traditionnel de cette Eglise canadienne se
transforme en un
romanisme farouche. Gallicane depuis Mgr de Saint-
Vallier, l'Eglise
canadienne se trouve en 1763 coupée des sources du
gallicanisme : le
clergé séculier de France ne fournit plus de sujets
101
Msr Briand au nonce à Paris, 27 juil. 1770 (AAQ, Copies de lettres,
IV
: 135), RAPQ, 1929-30 : 85. Voir aussi la lettre citée à la note précédente.
— 32 —
et l'épiscopat
français perd rapidement contact avec le diocèse de
Québec. Quand les
relations reprennent entre le Canada et la France,
c'est grâce à des
communautés qui dépendent directement de Rome et
pour qui le
gallicanisme est hérésie. Par ailleurs, pendant ses soixantequinze
ans de servitude,
l'Eglise canadienne est en butte à une puissance
anglicane, version
extrémiste du gallicanisme français; menacée dans
son existence par
les Anglicans, l'Eglise du Québec va se rapprocher
beaucoup plus
étroitement de Rome. Bref, coupée du gallicanisme
français et en
réaction contre l'anglicanisme, cette Eglise s'appuie
davantage sur Rome;
et lors de son grand réveil, aiguillonnée par les
Jésuites et les
Oblats et par leurs amis (dont Mgr Bourget), elle va
durcir encore son
romanisme et s'engager délibérément, en même
temps que dans
l'influence indue, dans une autre grande crise : celle
de
l'ultramontanisme.
A regarder cette
Eglise vers la fin du dix-neuvième siècle, riche
en effectifs,
extrêmement vivante sur le plan religieux, puissante sur le
plan social,
agressive sur le plan politique, on peut difficilement s'imaginer
que, depuis la
conquête jusque vers 1840, elle avait été dépourvue
de tout, condamnée à
la stagnation, humiliée sans cesse par le Gouvernement;
et l'on oublie qu'à
certains moments elle a été sérieusement
menacée dans son
existence même.
Marcel
TRUDEL,
professeur titulaire
d'histoire du Canada à l'Institut d'Histoire
de l'Université
Laval
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d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents
domaines du savoir.